Libérer l'espoir

Le 28 mars dernier, plus de 200 000 esturgeons chinois de tous âges, allant des alevins aux spécimens adultes de 15 ans, ont été relâchés dans le fleuve Yangtsé à Yichang, dans la province du Hubei. L’événement, organisé conjointement par le ministère chinois de l’Agriculture et des Affaires rurales et l’entreprise China Three Gorges Corporation (CTG), vise à repeupler cette espèce en danger et à sensibiliser le public. 

L’esturgeon chinois, un poisson anadrome unique en Chine, est une espèce emblématique de la vie aquatique dans le fleuve Yangtsé. Avec une histoire qui remonte à 140 millions d’années, il s’agit de l’un des vertébrés les plus anciens de la planète. Né dans le fleuve Yangtsé, l’esturgeon descend le fleuve pour atteindre la maturité dans les eaux côtières, avant de retourner dans le fleuve pour se reproduire. Ce cycle de croissance, très lent, dure plus d’une décennie. 

Selon Du Hejun, directeur du Bureau de recherche sur la conservation des espèces de l’Institut de recherche sur l’esturgeon chinois de CTG, le moment et le lieu de la libération ont été choisis en fonction des caractéristiques biologiques des esturgeons chinois. 

Au total, le relâchement record d’un million d’esturgeons chinois et d’autres espèces menacées, comme Coreius guichenoti et Myxocyprinus asiaticus, sera organisé en plusieurs étapes au cours de l’année, dans le but de mieux protéger la biodiversité du fleuve Yangtsé. 

Les avancées de la recherche 

Les progrès technologiques ont grandement contribué aux efforts de conservation. Depuis l’interdiction de la pêche d’esturgeon sauvage en Chine en 2009, les chercheurs de l’Institut de recherche sur l’esturgeon chinois ont développé des techniques d’élevage artificiel. Ils ont établi une population robuste d’esturgeons de deuxième génération, avec des proportions équilibrées entre les sexes dans tous les groupes d’âge. 

Les avancées technologiques dans le domaine du séquençage génétique ont permis une meilleure compréhension de la biologie de l’esturgeon chinois, facilitant ainsi une gestion précise de la reproduction et de la croissance de cette espèce. Selon Yang Jing, directrice adjointe du Bureau de recherche sur la conservation des espèces, le séquençage génétique est utilisé pour identifier le sexe des esturgeons, qui n’ont pas de caractères sexuels visibles. Avant cette technologie, le sexe des esturgeons ne pouvait être déterminé qu’à l’âge de cinq ans. Maintenant, les chercheurs peuvent assurer la diversité génétique des esturgeons, réguler leur ratio sexuel et fournir des suppléments nutritionnels spécifiques aux femelles et aux mâles. 

Vision à long terme 

Différentes techniques de marquage, telles que la télémétrie par satellite, le suivi par ultrasons, le marquage PIT, le marquage de type T et le marquage fluorescent, ont également été utilisées pour suivre les déplacements des esturgeons relâchés. Ces méthodes, aux objectifs diversifiés, jouent un rôle crucial dans la surveillance des populations d’esturgeons chinois et jettent les bases pour des recherches futures. 

Les avancées scientifiques et technologiques bénéficient du soutien des politiques gouvernementales en matière de préservation de l’environnement et de gestion des ressources halieutiques. Des initiatives telles que l’interdiction décennale de la pêche dans le fleuve Yangtsé contribuent à la protection de l’esturgeon chinois et d’autres espèces aquatiques menacées. 

Grâce à ces progrès, l’esturgeon chinois peut envisager un avenir plus prometteur avec des relâchements plus fréquents pour sa conservation. Cette stratégie est vitale en raison de la longévité et de la maturation tardive de l’espèce. Bien que les impacts immédiats de ces relâchements soient incertains, ils augmentent les probabilités de survie de cette espèce en voie de disparition. 

« La perte de nombreuses espèces en raison de l’insuffisance de la technologie et de la recherche scientifique dans le passé me remplit d’une profonde tristesse et d’un grand regret. C’est pourquoi nous sommes déterminés à maximiser nos efforts pour protéger l’esturgeon chinois », a partagé avec CHINAFRIQUE Shu Tingting, chercheuse à l’Institut de recherche sur l’esturgeon chinois. 

Efforts collectifs 

La réussite des programmes de conservation repose sur l’expertise scientifique et l’engagement de toute la société. La participation active de volontaires et de communautés locales à des campagnes de sensibilisation témoigne de leur engagement commun envers la gestion environnementale. Cette année, la diversité des participants était remarquable, allant des chercheurs aux volontaires de divers horizons, en passant par des étudiants de l’Université des Trois Gorges et des résidents locaux. 

Les événements de relâchements publics permettent aux riverains d’observer de plus près les esturgeons, favorisant ainsi la sensibilisation et les initiatives de préservation. Avant de relâcher les esturgeons dans le fleuve Yangtsé, la communauté a pu observer ces animaux de différentes tailles nager dans des bassins temporaires. Avec l’aide d’outils spécifiques, des volontaires ont ensuite déplacé ces poissons vers des bassins reliés à des dispositifs de relâchement, nécessitant souvent l’aide de deux personnes pour les plus grands spécimens. 

Pour Wu Jianmin, cette année marque sa deuxième participation à ces événements. Il a découvert cette initiative il y a 13 ans en courant le long du fleuve, ce qui l’a poussé à s’impliquer. Comme beaucoup d’autres riverains du Yangtsé, il ressent profondément les bénéfices de la conservation de la biodiversité aquatique. 

L’engagement des jeunes peut contribuer à sensibiliser le public à la protection de l’esturgeon chinois. Certains des étudiants bénévoles proviennent de la Faculté d’ingénierie hydraulique et environnementale de l’Université des Trois Gorges. L’équipe de bénévoles Yixin pour l’esturgeon chinois et le marsouin aptère, elle, est un autre groupe d’étudiants engagés dans la protection des animaux aquatiques rares du fleuve Yangtsé. « La chance d’observer de près l’esturgeon chinois est un atout pour mes études. En tant que membre de l’équipe, je peux diffuser plus efficacement des connaissances après avoir vu et touché cette créature », a indiqué à CHINAFRIQUE Yang Sen, une étudiante en master d’ingénierie hydraulique. 

En impliquant une communauté plus large, l’esturgeon chinois pourrait devenir un symbole mondial de réussite en matière de préservation. Cela montrerait la résilience de la nature et l’impact positif de l’action collective au-delà des frontières des laboratoires.