L'APEC en soutien à la coopération économique sino-russe
Des représentantes de la délégation russe admirent des masques de l'opéra de Pékin au cours de la 3e réunion de hauts fonctionnaires de l'APEC tenue en août dernier à Beijing.
Le 1er septembre 2014, la mise en chantier du gazoduc Chine-Russie à Yakutsk.
Est-ce l'APEC qui porte la coopération sino-russe ou la coopération sino-russe qui porte l'APEC ? Analyse de la situation actuelle et des perspectives futures.
C'est respectivement en 1991 et en 1998 que la Chine et la Russie ont rejoint, à titre d'État souverain, l'APEC, mécanisme de coopération économique intergouvernemental le plus actif dans la région Asie-Pacifique. Cette organisation sert également d'importante plate-forme à la coopération entre la Chine et la Russie : les échanges économiques et commerciaux entre ces deux-là comme avec les autres pays de la région ne cessent de s'approfondir. À mesure que la Chine et la Russie gagnent en puissance globale, ces deux nations jouissent d'une influence grandissante au sein de l'APEC, jouant ainsi un rôle important dans la promotion de la sécurité et de la stabilité en Asie-Pacifique.
Opportunités apportées par l'APEC
L'APEC suit principalement un modèle d'intégration économique régionale guidée par le marché. Cette organisation nourrit plusieurs objectifs fondamentaux : maintenir la croissance et le développement de l'économie, favoriser l'interdépendance économique entre les membres, renforcer le système ouvert du commerce multilatéral, réduire les barrières au commerce et à l'investissement dans la région, et enfin, sauvegarder les intérêts communs des peuples qui y vivent. L'APEC a enregistré des progrès constants, d'une part dans la promotion de la libéralisation et de la facilitation du commerce et de l'investissement à l'échelle tant régionale que mondiale, et d'autre part dans le développement de la coopération économique et technique. Par conséquent, elle a contribué au développement du commerce et de l'investissement, ainsi qu'à la prospérité économique dans la région Asie-Pacifique.
La coopération économique bilatérale entre la Chine et la Russie est indissociable de la région Asie-Pacifique. L'APEC fournit aux deux pays un canal majeur pour que ceux-ci apportent leur concours au processus de mondialisation et d'intégration économique, afin de promouvoir la réforme et l'ouverture, ainsi que pour soutenir l'édification économique.
Depuis leur adhésion à l'APEC, la Chine et la Russie, les deux plus grands pays actuellement en transition dans le monde, se sont progressivement familiarisées avec les diverses règles en matière de coopération régionale et mondiale, ont assimilé les expériences avancées d'autres pays membres concernant le système de gestion économique, et ont amélioré leurs mécanismes de marché. En outre, leur affiliation à l'APEC a créé des conditions extérieures favorables à leur entrée à l'OMC, dont la Chine et la Russie sont devenues membres en 2001 et 2011, soit respectivement 10 et 13 ans plus tard.
Ces dernières années, la Chine et la Russie ont largement bénéficié d'avantages par le biais de l'APEC, notamment en termes de système des achats publics, de gestion du commerce électronique international, de procédures douanières, etc. Pour la Chine, l'APEC représente la première plate-forme multilatérale à laquelle elle a adhérée, tandis que pour la Russie, elle forme le pont grâce auquel elle a pu rejoindre la région Asie-Pacifique. En participant au processus de l'APEC, la Chine et la Russie ont pris un certain nombre d'engagements pour améliorer leurs conditions d'accès aux marchés. En contrepartie, elles ont profité de la réduction des droits de douane, de l'élimination des barrières non tarifaires, du développement mutuel des marchés ouverts, de la promotion de l'exportation ou encore de l'élévation de la compétitivité des produits. La région Asie-Pacifique a ainsi érigé de solides contreforts soutenant l'économie et le commerce extérieur de la Chine et de la Russie.
En 2013, le volume du commerce de la Chine avec les membres de l'APEC représentait 60 % du total de son commerce extérieur ; 83 % des investissements étrangers réellement utilisés dans le pays provenaient des membres de l'APEC ; 69 % des investissements directs à l'étranger émanant de la Chine étaient destinés à l'APEC. Parmi les dix premiers partenaires commerciaux de la Chine, huit sont membres de cette organisation, reflet des bonnes relations que la Chine entretient avec l'APEC et ses membres.
Bien que la Russie possède un territoire s'étendant pour les deux tiers en Asie, ses centres politiques, économiques et culturels sont depuis longtemps concentrés en Europe. Ces dernières années, avec le déplacement vers l'Est du centre de gravité de l'économie mondiale, les relations extérieures de la Russie s'orientent de plus en plus vers l'Asie-Pacifique. Même si pour l'heure, la coopération de la Russie avec la région Asie-Pacifique en matière d'investissements n'est pas très active, la densité de leurs échanges a considérablement grossi. De 2001 à 2006, le volume commercial entre la Russie et l'APEC est passé de 85,3 à 259,1 milliards de dollars ; la part des exportations de la Russie vers la région Asie-Pacifique, de 14 % à 17,3 % ; et la part des importations, de 23,1 % à 30,2 %. De 2008 à 2013, l'APEC est devenue le deuxième partenaire régional de la Russie derrière l'Union européenne, avec une hausse de la proportion qu'elle occupe dans le volume total du commerce extérieur de la Russie, passée de 20 % à 23,9 %. Depuis l'adhésion de la Russie à l'APEC en 1998, le volume des échanges entre la Chine et la Russie a également connu une envolée. En 2013, le commerce bilatéral a atteint 89,2 milliards de dollars, soit 15 fois plus qu'en 1998 où ce chiffre n'atteignait que 5,7 milliards de dollars. Il représente 47 % des échanges commerciaux de la Russie avec l'APEC, et 3,5 % des échanges commerciaux de la Chine avec l'APEC. Par ailleurs, la Chine et la Russie sont plus interdépendantes que jamais sur le plan économique. La Chine est le premier partenaire commercial de la Russie dans l'APEC comme à l'échelle mondiale, ainsi que la quatrième source de ses investissements étrangers ; tandis que la Russie est pour la Chine son quatrième plus grand exportateur d'énergies.
L'APEC, promue par le commerce sino-russe
Tout comme l'APEC fournit une nouvelle plate-forme et de nouvelles opportunités au commerce sino-russe, les deux pays jouent un rôle constructif pour le processus de l'APEC.
Après avoir adhéré à l'APEC, la Chine et la Russie ont attaché une grande importance aux réunions successives qui se sont tenues entre les dirigeants des entités économiques. Elles y ont participé et présenté nombre de politiques et d'initiatives tant positives que rationnelles. Deuxième économie du monde et pays leader du commerce de marchandises, la Chine voit son influence s'accroître au sein de l'organisation. Elle en profite pour, de concert avec d'autres membres de l'APEC, porter vers de plus hauts sommets la coopération régionale basée sur les bénéfices mutuels. Au moment de la crise financière asiatique de 1997 puis de la crise financière mondiale de 2008, la Chine a agi en État responsable. Mettant en œuvre une politique financière prudente et une politique budgétaire de relance, la Chine a élargi sa demande intérieure tout en maintenant une croissance saine et durable de l'économie nationale, pour ainsi garantir la stabilité financière, l'apaisement des tensions économiques et la reprise, et ce, en Asie comme dans le reste du monde.
Ces dernières années, la Chine a promu activement la création de zones de libre-échange : elle a signé et mis en œuvre des accords en la matière avec un total de dix pays, y compris avec des membres de l'APEC. Cette organisation a activement lutté contre le protectionnisme, ainsi que promu la libéralisation et la facilitation du commerce et de l'investissement. De plus, les pays d'Asie-Pacifique ont pu bénéficier des fruits de l'essor économique de la Chine, à mesure que celle-ci ouvrait son marché.
La partie orientale de la Russie n'étant pas encore très développée, le rôle du pays dans la région Asie-Pacifique reste limité et disproportionné par rapport au fort potentiel national. Toutefois, ce constat ne signifie pas que la Russie restera passive dans la zone à l'avenir. Renforcer la diplomatie en Asie-Pacifique est l'une des priorités fixées par la politique étrangère de Poutine dans son troisième mandat. La Russie participera alors plus largement à l'intégration économique dans cette région.
En novembre 2012, s'est tenu le 20e Sommet de l'APEC à Vladivostok. C'était la première fois que la Russie accueillait ce sommet, manifestant l'importance qu'elle accorde à l'Extrême-Orient, son désir de coopérer avec les pays d'Asie-Pacifique et son intention stratégique de « faire son grand retour » dans cette région. La Russie y avait proposé quatre idées : la libéralisation du commerce et de l'investissement ainsi que l'intégration économique régionale, le renforcement de la sécurité alimentaire, la formation de solides chaînes logistiques et de transport, le renforcement de la coopération en vue de garantir un modèle de croissance innovant. Évidemment, ces sujets, au cœur desquels l'Extrême-Orient joue le rôle de pont, visaient à renforcer la coopération tous azimuts de la Russie avec les pays d'Asie-Pacifique, pour ainsi fournir à la Russie un point de départ pour son intégration dans cette région.
L'APEC, la plus grande organisatrice de forums en Asie-Pacifique, ne se limite pas à promouvoir la coopération économique et commerciale. Elle présente un grand potentiel dans l'approfondissement de la coopération technique entre les pays membres, des échanges sociaux et culturels, ainsi que de la collaboration dans les domaines non traditionnels de la sécurité.
Dans la région Asie-Pacifique, la Chine et la Russie partagent de larges intérêts communs. Néanmoins, la part du commerce bilatéral et l'influence des deux pays au sein de l'APEC ne sont pas si élevées pour le moment. Les bases sur lesquelles s'appuient ces deux grandes puissances sont différentes : pour la Chine, il s'agit de la force économique ; pour la Russie, de la force militaire. Dans la mesure où la portée des moyens économiques russes reste à étendre, la sécurité et la présence stratégique resteront pendant encore un bon moment des outils essentiels à la Russie pour maintenir son influence dans la région.
À long terme, la Russie va promouvoir au maximum son intégration économique dans la région Asie-Pacifique. La coopération entre la Chine et la Russie sera bénéfique non seulement pour les deux pays, mais également pour la région dont ils font partie. Elle contribuera au traitement juste et impartial des affaires mondiales comme à l'amélioration progressive de la gouvernance globale. En ce sens, il est nécessaire, dans le positionnement stratégique de la coopération sino-russe, de tenir compte des besoins des deux pays, mais aussi du rôle qu'ils jouent au niveau de la coopération régionale, de même que du poids qu'ils représentent dans la gouvernance mondiale. Le contexte actuel impose à la Chine et à la Russie d'assumer ensemble la responsabilité de garantir la paix, la stabilité et le développement de la région. La Chine et la Russie doivent y remplir une double mission : d'une part, défendre la sécurité ; d'autre part, encourager et servir la coopération.
Domaines de coopération futurs
Le partenariat global stratégique entre la Chine et la Russie constitue un facteur essentiel pour la promotion de la paix, de la sécurité et du développement en Asie-Pacifique. De même, la coopération sino-russe portera certainement la coopération dans toute la région. Dans le cadre de l'APEC, la coopération économique à venir entre les deux pays est centrée principalement sur les domaines suivants.
Premièrement, la coopération énergétique. Multiplier les échanges en la matière, promouvoir le développement durable des ressources concernées et maintenir la sécurité énergétique en Asie-Pacifique constituent des objectifs à long terme que se donne l'APEC en matière de coopération énergétique. La Chine et la Russie sont parvenues à un consensus sur un certain nombre de points : l'établissement d'un partenariat global énergétique, l'approfondissement d'une série de collaborations dans le secteur pétrolier, le démarrage au plus tôt de la livraison de gaz naturel russe à destination de la Chine, l'élargissement de la coopération dans le domaine du charbon notamment à travers l'exploitation de mines russes et le développement des infrastructures de transport, le déploiement d'études en faveur de la construction de nouvelles centrales électriques en Russie, ou encore l'augmentation des exportations d'électricité vers la Chine. Ainsi s'est activé entre la Chine et la Russie un processus de coopération intégrée global dans le champ des énergies.
Deuxièmement, la coopération vis-à-vis de l'interconnexion. À partir de 2013, le renforcement de la mise en relation des infrastructures des divers secteurs est devenu une préoccupation prioritaire de l'APEC. La Russie a entériné l'idée stratégique de la Chine de bâtir une « ceinture économique de la Route de la Soie », exprimant son désir d'y connecter le chemin de fer russe Eurasie. Elle a aussi affirmé vouloir trouver des points d'ancrage entre les projets de la ceinture économique de la Route de la Soie et l'Union économique eurasienne qui est sur le point d'être créée. Dans la région Asie-Pacifique, la Chine et la Russie accéléreront le développement des infrastructures de transport transfrontalier, en établissant par exemple des ponts sur les rivières séparant les deux pays. L'interconnexion des infrastructures régionales permettra non seulement d'élever le degré de coopération économique et commerciale entre la Chine et la Russie, mais aussi d'insuffler un nouvel élan au développement de l'APEC.
Troisièmement, la coopération agricole. Assurer la sécurité alimentaire grâce à la coopération régionale est un objectif clé que cible l'APEC. La Chine et la Russie sont complémentaires dans l'agriculture. La coopération agricole présente donc de larges perspectives au travers de l'investissement dans certains projets et de la modernisation industrielle. La crise en Ukraine, ainsi que les brouilles entre la Russie et les pays occidentaux sur l'import-export de produits d'agriculture, offrent de nouvelles opportunités à la coopération agricole sino-russe. Dans le futur, cette dernière portera principalement sur le commerce agricole, le développement de l'agriculture à l'international, l'échange de main-d'œuvre et le transfert des technologies associées.
Enfin, la coopération financière. Dans le cadre de l'APEC, la coopération financière entre la Chine et la Russie possède déjà de bonnes assises. Suite à la crise en Ukraine, la Russie et les États-Unis sont revenues à des rapports rappelant ceux de la guerre froide, au point que la Russie se dit fermement déterminée à renoncer au système financier basé sur le dollar américain. À l'avenir, la Chine et la Russie promouvront la collaboration étroite dans le secteur financier, notamment en augmentant les règlements directs en monnaie nationale dans leur commerce bilatéral, ainsi qu'en multipliant les investissements et les opérations de débit et de crédit pour se protéger contre l'effet des fluctuations du taux de change des principales devises dans le monde. La banque russe VTB et la Banque de Chine ont signé un accord prévoyant le développement d'un partenariat dans plusieurs domaines, y compris les règlements en rouble et en yuan, les services bancaires d'investissement, les prêts interbancaires, le financement du commerce et les transactions sur le marché des capitaux. Actuellement, 75 % des opérations commerciales transfrontalières entre la Chine et la Russie sont réglées en dollar. Les échanges directs entre le yuan et le rouble permettront de réduire considérablement les coûts de financement et de conversion pour les deux pays, pour apporter concrètement des facilités aux entreprises commerciales chinoises et russes.
LI JIANMIN, chercheur à l'Institut d'études sur la Russie, l'Europe de l'Est et l'Asie centrale relevant de l'Académie des sciences sociales de Chine.
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