Au pays du changement permanent
La puce Kirin 970 dévoilée par Huawei à la Foire internationale d’électronique grand public de Berlin (IFA)
J’ai travaillé à Paris de l’an 2000 à 2013 en tant que correspondant du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai. Les statistiques de la Banque mondiale montrent qu’en 2000, le PIB français se chiffrait à 1 326,3 milliards de dollars, contre 1 198,4 milliards de dollars pour la Chine. Deux ans plus tard, le PIB chinois dépassait le PIB français, avec 1 453,8 milliards de dollars contre 1 452 milliards de dollars. À l’époque, l’économie chinoise croissait à un rythme d’environ 10 % par an. Les trois années suivantes, en raison de la hausse de l’euro, la Banque mondiale qui calcule les PIB des pays en dollars indiquait que le PIB français avait à nouveau dépassé celui de la Chine. À partir de 2005, l’économie chinoise a commencé à connaître un essor considérable et le PIB chinois atteignait 2 256,9 milliards de dollars, dépassant à nouveau le PIB français qui était alors de 2 136,5 milliards de dollars. L’année suivante, le PIB chinois atteignait 2 712,9 milliards de dollars, alors que celui de la France s’établissait à 2 255,7 milliards de dollars. En 2008, année des Jeux olympiques de Beijing, le PIB chinois grimpait à 4 521,8 milliards de dollars, tandis que le PIB français indiquait 2 831,7 milliards de dollars. On voit que l’écart de PIB se creusait rapidement entre la Chine et la France, mais le public tant chinois que français n’en avait cure, car ces chiffres abstraits ne se reflètent pas dans la vie de tous les jours. Ce que pouvaient noter les Chinois, c’est que leurs voyages en France revenaient de moins en moins chers.
En 2010, avec 5 930,5 milliards de dollars, le PIB chinois prenait la seconde place mondiale, tandis que celui de la France se tassait à 2 565 milliards de dollars. Le PIB chinois était déjà plus de double du PIB français. En 2016, le PIB chinois se montait à 11 218,2 milliards de dollars, soit quatre fois plus que le PIB hexagonal. Ces chiffres abstraits, nous ne pouvons pas les percevoir au quotidien. Je vivais et travaillais dans les deux pays, et seules quelques différences me sautaient aux yeux : dans les grandes villes chinoises, à Beijing, à Shanghai ou à Shenzhen, je voyais plus de voitures de luxe que dans les villes françaises et on pouvait rencontrer plus de jeunes dans les hôtels 5 étoiles en Chine qu’en France. Autre différence : au classement du PIB par habitant publié en avril 2016 par le FMI, la France est au 24e rang avec 38 124 dollars/personne, alors que la Chine prend la 74e place avec seulement 8 113 dollars/habitant. Cela illustre le fossé qui sépare la Chine, un pays en développement, de la France, pays développé.
Cette comparaison entre la Chine et la France me rappelle la rivalité qui opposait la Chine à l’Inde, les deux pays asiatiques les plus peuplés du monde. Deux pays qui ont récemment fait la une des journaux avec la confrontation frontalière de Donglang. Il ne s’agit pas d’un vrai conflit frontalier, puisque les deux pays ne partagent pas de frontières en cet endroit. Ce territoire sépare la Chine et le Bhoutan, un pays que l’Inde considère comme un « protectorat ». Alors que des ouvriers chinois construisaient une route en territoire chinois, des centaines de soldats indiens ont franchi la frontière et sont entrés sur le sol chinois pour tenter d’empêcher ces travaux. Le monde a un instant fait des tapages, se demandant si un conflit allait se déclencher entre les deux puissances nucléaires. Deux mois plus tard, l’Inde a retiré ses soldats de Donglang et la Chine continue à sauvegarder sa souveraineté territoriale selon les traités frontaliers historiques. La « rivalité entre le dragon et l’éléphant » est revenue sur le devant de l’actualité. En 2016, le PIB indien se montait à 2 256,3 milliards de dollars, ce qui vaut à l’Inde la 7e place mondiale, mais son PIB par habitant, avec seulement 1 723 dollars, en fait le 146e pays au palmarès, très loin derrière la Chine.
La croissance du PIB chinois produit des changements qui, jour après jour, modifient la vie en Chine.
La société chinoise des chemins de fer a annoncé récemment que la vitesse de circulation passerait de 300 km/h actuellement à 350 km/h. Ainsi, il faudra seulement 4 h 28 mn pour parcourir les 1 300 km qui séparent Beijing de Shanghai. À cette vitesse, le train concurrence l’avion. CRRC, la société qui fabrique le TGV chinois, mais également des rames de métro, est un géant du transport sur rail qui se classe parmi les 500 premières entreprises mondiales. Il est de très loin le leader mondial sur le marché des TGV avec 69 % de parts de marché, très loin devant Alstom (8 %) et Siemens (3 %).
Mais d’autres nouvelles sont encore plus étonnantes. Le 30 août, la China Aerospace Science & Industry Corporation a annoncé mettre à l’étude un « train aérien à ultra haute vitesse » qui pourrait se déplacer à la vitesse ahurissante de 4 000 km/h. Des recherches similaires se poursuivent aux États-Unis. Le secret de ce train est qu’il progressera dans un tube à basse pression qui réduira fortement la résistance aérodynamique et sera mû par sustentation magnétique sans contact avec le sol. Science-fiction ou projet réaliste ? Difficile de se prononcer, mais je suis sûr d’une chose : lorsque la Chine se fixe un objectif, elle fait de son mieux pour l’atteindre.
La China Aerospace Science & Industry Corporation est une entreprise du Forbes 500 au revenu annuel de 27,8 milliards de dollars, pas tellement inférieur à celui de Lockheed Martin, première entreprise mondiale d’armement qui publie un profit annuel de 36,4 milliards de dollars. Comme on le sait, la Chine accuse peut-être un retard sur les États-Unis en matière de technologie, mais le fait est que les deux pays se lancent en même temps dans un projet technologique futuriste. Lequel des deux mettra sur les rails le premier « train aérien à ultra haute vitesse » ? Les paris sont ouverts.
Un autre événement récent s’est produit en Chine, qui ne doit pas être négligé : le Sommet des BRICS qui s’est tenu au début de septembre à Xiamen. On sait que ce genre de sommets est riche en déclarations et annonces de toutes sortes, et les médias français en ont fait état. Je ne veux en citer qu’une parmi tant d’autres : la coopération monétaire entre pays des BRICS prend une tournure concrète. Au cours de son point de presse, le président russe Vladimir Poutine a affirmé que « la mise en place du réservoir de devises des cinq pays est en route ». Cette initiative avait été évoquée lors du premier sommet des cinq pays à Moscou ; elle a été précisée lors du sommet suivant des BRICS au Brésil. Lors du Sommet d’Afrique du Sud, cette proposition a été mise en œuvre. On ne sait pas encore la date du lancement du réservoir de devises, mais je note un paragraphe dans la déclaration des cinq pays publiée lors du sommet de cette année : « Nous convenons qu’à condition que les lois de nos cinq pays le permettent, nos cinq pays entretiendront des contacts étroits visant à renforcer la coopération monétaire et explorer plus de moyens à ce sujet à travers l’échange de monnaies, les règlements et les investissements en monnaies des cinq pays. »
Que le réservoir de devises soit effectif ou non, la coopération monétaire des cinq pays est entrée dans une phase de concrétisation. Son objectif est claire : il s’agit de faire face ensemble aux risques de capitaux et aux fluctuations sur le marché financier. C’est-à-dire relever le défi de la guerre monétaire qui vient de l’extérieur. Hormis la Chine, tous les autres pays des BRICS ont connu une dévaluation sévère de leur monnaie et tous comprennent bien l’importance de cette réserve de devises pour faire face aux crises monétaires. Si les cinq pays stockent des devises respectives qu’ils utiliseront dans les règlements ou les investissements, leur capacité d’affronter les crises monétaires en sera renforcée et une nouvelle donne apparaîtra dans la structure financière internationale.
Je voudrais raconter à nos lecteurs encore bien des choses sur la Chine. On y voit régulièrement apparaître des entreprises poids lourds dans de nouveaux secteurs. Des géants qui prennent des parts de marché importantes, qui voient gonfler de façon incroyable leur chiffre d’affaires et leurs profits. Ces progrès rapides sont notables surtout dans l’innovation technologique. Lors de la Foire internationale d’électronique grand public de Berlin (IFA), l’entreprise Huawei a dévoilé une puce baptisée Kirin 970 qui contient un module d’intelligence artificielle pour mobile. Cette puce, considérée comme la plus sophistiquée au monde, sera insérée dans les Smartphones Huawei. En juin et en juillet, Huawei a vendu plus de Smartphones dans le monde que l’iPhone d’Apple. Avec cette nouvelle puce, Huawei est-il en passe de croquer la pomme ? Qui vivra verra.
Pour conclure, relatons un épisode qui s’est produit cet été. En juillet, la plus longue autoroute traversant un désert est entrée en service : il s’agit de l’autoroute reliant Beijing à Ürümqi qui s’étend sur 2 540 km. Le long de cette autoroute se trouve un paysage en tout point comparable à celui de la fameuse route 66 aux États-Unis. Nos amis français amateurs de paysages désertiques peuvent venir l’admirer ici. Lorsque j’étudiais le français, mon professeur s’étonnait, au début des années 1980, de ce que la Chine ne possédait pas d’autoroute. La première autoroute a été construite en 1988 dans la banlieue de Shanghai sur seulement 16 km. Mais aujourd’hui, la Chine est le pays qui possède le plus long réseau autoroutier au monde. Des nouvelles incroyables pour nos amis occidentaux qui peinent à s’habituer au rythme auquel se développe la Chine. Il faut voir la Chine comme un pays qui change constamment. C’est en tout cas mon vécu lorsque je suis rentré de France en Chine. Une expérience qui pourra être utile à nos amis français ?
Par ZHENG RUOLIN, un ancien correspondant à Paris du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai et l’auteur du livre Les Chinois sont des hommes comme les autres aux éditions Denoël.