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Vivre dans les hutong de Beijing

French.china.org.cn | Mis à jour le 26. 07. 2016 | Mots clés : hutong

Dans les maisons à cour carrée, le silence et le calme font oublier que l'on est en plein cœur d'une capitale.

N'étant pas « Pékinois d'adoption » dès le départ, puisque j'ai vécu 6 ans à Jinan, la capitale du Shandong, avant de m'installer à Beijing en 2013, je n'ai pas tout de suite eu l'idée d'habiter dans les hutong de Beijing, ces petites ruelles typiques de la vieille ville. Pour moi, hutong était synonyme de « pauvreté, insalubrité et promiscuité ». D'ailleurs, je ne m'imaginais pas que les étrangers avaient le droit d'y vivre et que les hutong pouvaient être aussi confortables que je n'ai pu le découvrir plus tard.

Après avoir déménagé de Jinan en 2013, je me suis installé dans la capitale chinoise. J'ai trouvé un appartement dans une résidence près du quatrième périphérique Ouest, au septième étage d'un immeuble des années 1970, sans ascenseur. Le quartier n'avait rien de typique, ni de très passionnant. J'avais échoué un peu par hasard dans la banlieue ouest de Beijing, vaste plaine morose, vide et sans intérêt parce que « sur la carte, ça a l'air près du travail ».

Puis au cours d'excursion pendant mes weekends et soirées après le travail, j'ai peu à peu découvert ces fameux hutong, ceux dont on dit qu'ils ont été démolis et qu'il n'en reste presque plus. Certains quartiers de la vieille ville de Beijing ont été très bien préservés et à l'intérieur du 2e périphérique, les hutong occupent encore la majorité de la superficie de la vieille ville.

Le monde mystérieux des hutong

C'est grâce à mes amis français Pékinois d'adoption que j'ai découvert une nouvelle géographie de la capitale dont je n'avais aucune idée, moi qui ne connaissais que Wangfujing, la place Tian'anmen, le quartier étudiant de Wudaokou, Sanlitun avant d'arriver à Beijing. Mes « guides » m'ont fait découvrir les quartiers de Gulou, Beihai, Houhai, Xihai, Jiugulou, Gulou Dongdajie, Jingshan, etc. Des noms un peu exotiques qui veulent dire « la tour du tambour », la ruelle de Nanluo, la Colline du Charbon, le lac Beihai, le lac de derrière, le lac de l'Ouest...

Ils avaient leurs histoires dans ces quartiers, certains y avaient ouvert des bars, d'autres y passaient leurs soirées, voguant d'un bar à un autre de neuf heures à parfois l'aube, passant de Houhai à Gulou, puis Nanluoguxiang, pour finir à Beixinqiao. Certains allaient faire de la calligraphie dans les parcs avec les petits vieux chinois, d'autres avaient leurs habitudes dans les petits cafés et salons de thés dans les hutong entre Nanluoguxiang et Houhai. Ils avaient presque tous un vieux vélo chinois comme j'en avais à Jinan, et ne juraient que par ce moyen de transport alors que j'étais obligé de prendre une demi-heure de métro pour rentrer chez moi le soir et prévoir mes sorties en fonction des horaires des transports en commun pour éviter de gaspiller tout mon argent en taxi.

Ils racontaient des histoires de l'hiver dans les hutong, où les maisons sont parfois mal chauffées, leurs déboires avec le propriétaire, les voisins hauts en couleur, les inondations pendant les pluies torrentielles de l'été, la vie bigarrée qu'ils observaient dans leur hutong.

Pour le « banlieusard » pékinois que j'étais, perché au septième étage de mon immeuble, dans mon appartement avec vue sur les montagnes et les baies vitrées des voisins, tout cela me semblait mystérieux, et en même temps très attirant.

Ce qui est marrant, c'est que même après six ans en Chine, et parlant couramment chinois, je n'arrivais pas à comprendre les noms des rues de la vieille ville de Beijing. Ceux-ci résonnent tellement d'histoire, de traditions et de sens cachés qu'on s'y perd, comme on peut se perdre dans le dédale de ces vieilles ruelles.

Le parcours du combattant

Quand après 6 mois dans mon perchoir banlieusard, ma propriétaire m'a appelé le jour de mon anniversaire pour me dire qu'elle allait vendre l'appartement et que je devais partir, j'ai pris ça comme un cadeau et me suis promis d'habiter dans une vieille maison dans les hutong.

J'ai commencé à éplucher les annonces sur les sites de location immobilière chinois, pour n'y trouver finalement que des annonces avec des photos non contractuelles.

Les maisons dans les hutong sont en réalité des maisons à cour carrée divisées en petites maisons construites parfois de bric et de broc en empiétant sur la cour. Certaines sont très bien rénovées et si la cour est à louer dans son entièreté, les prix peuvent monter très très haut. Alors à moins d'avoir un salaire ou des indemnités logement qui dépassent les 20 000 yuans/mois, il est généralement impossible de louer une maison chinoise traditionnelle à cour carrée dans son entièreté. Il faut donc se préparer à avoir des voisins, plus ou moins proches, suivant si la maison dispose d'une petite courette indépendante ou non, et à partager son espace avec des « autochtones ».

Dépité par les annonces sur le net, j'ai pris le parti d'aller directement dans les agences pour demander à visiter. Après plusieurs visites infructueuses, j'ai compris qu'il allait falloir faire preuve de clarté et de simplicité dans mes exigences : « Je veux une maison habitable en l'état, avec des toilettes, une salle de bain et une cuisine si ce n'est pas trop demander. L'idéal, mais alors vraiment, je ne veux pas vous déranger ni vous mettre la pression, ce serait qu'il y ait une courette indépendante ou une terrasse sur le toit. »

Ce n'est pas beaucoup demander ! Et pourtant si ! Car la plupart des maisons que j'ai visitées pour le prix que j'étais prêt à payer : aux alentours de 6 000-7 000 yuans, ne possédaient pas forcément de toilettes, de salle de bains ni de cuisine… Celles avec cour intérieure ou terrasse dépassaient souvent mon budget.

On m'a proposé d'habiter dans une maison à cour carrée complètement rénovée, mais avec le propriétaire comme voisin. On m'a proposé une maison qui n'avait aucune fenêtre mais qui avait une terrasse ! Une maison avec des toilettes mais où il était interdit de faire la grosse commission... Certains propriétaires voulaient que je leur paye l'année de location d'un seul coup, comme si mon deuxième prénom était Crésus… et d'autres souhaitaient pouvoir laisser tous leurs vieux meubles en dépôt dans la maison…

Après moult visites à dos de scooter d'agent immobilier à travers les hutong, j'ai finalement trouvé une maison comme je l'imaginais : vieilles poutres, dans un quartier très calme près de la Cité interdite, avec une cuisine, une salle de bains et des toilettes dignes de ce nom et une déco pas trop moche, voire même très jolie. C'était après plus de 20 visites et plusieurs mois de prospection. Entre-temps, j'avais fait une croix sur la courette indépendante et la terrasse, mettant l'accent sur le confort intérieur.

Vivre avec ses voisins

J'ai passé un an dans cette maison, partageant une cour commune avec six familles chinoises, « participant » à leurs réveils, repas, engueulades, rigolades, soirées télé ou encore coups de fil à minuit passé. Je n'aurais pas l'outrecuidance de dire que j'ai été « le voisin exemplaire » car je joue du piano, je regarde aussi la télé et j'aime inviter mes amis chez moi, mais je dois avouer que la vie dans une cour commune n'est pas faite pour moi.

Je savais que les Chinois se lèvent tôt, mais en vivant dans un appartement, ce n'est pas si évident que lorsque l'on a une fenêtre qui donne sur la cour intérieure et que vous entendez le bruit du vélo tout déboulonné du voisin qui part au travail juste derrière votre tête de lit ou encore le cliquetis du cadenas du vélo de la voisine garé sous la fenêtre.

Ce n'est pas forcément très agréable non plus d'entendre votre voisin et son fils s'engueuler pour une histoire de devoir pas recopié ou encore les voisines se crêper le chignon pour une histoire de « qui doit balayer la cour ».

On sent le pouls de la vie chinoise, son rythme, lève-tôt et couche-tôt, parfois tranquille, parfois électrique, assez extrême et surtout très animé. Car même sans être vraiment colocataire avec les voisins, la cour commune est toujours vivante. Il y a toujours du va-et-vient dans une cour. C'est une culture très différente de celle du « voisin de palier » ou du « voisin de lotissement » avec qui on ne fait que se saluer de loin sur le pas de la porte. Là, on partage un espace commun dans lequel on entend tout, on voit tout et on sent tout (parfois, quand le voisin fait de la cuisine épicée, la lessive ou que les canalisations sont bouchées).

Certains voisins sont presque absents et essaient de se faire oublier, d'autres sont présents à bon escient, d'autres peuvent être envahissants. Il faut donc savoir gérer son intimité, mettre des limites et parfois fermer la porte d'entrée de l'intérieur si l'on ne veut pas se retrouver avec la voisine dans le salon à faire des câlins aux chats comme c'est arrivé à des amies…

En général, les voisins vous adoptent assez vite, parfois après un conflit un peu pour tester le répondant et voir la personnalité qu'ils ont en face d'eux. Évidemment, les derniers arrivés sont un peu les bizuts, et les locataires ont moins de poids que ceux qui sont propriétaires, mais comme tout le monde vit ensemble, autant que ça se passe bien. Quand un problème arrive : fuite d'eau, mur qui s'est fissuré, toiture qui tombe en lambeaux, les gens s'entraident et certains voisins s'offrent même des petits cadeaux de temps à autres : bouteilles d'alcool, fruits ou services pour préserver l'harmonie au sein de la cour.

Dans certaines cours, il y a des vieux. Cela a deux avantages : ils sont là à la journée, ce qui évitent que des intrus rentrent dans la cour, ils récupèrent le courrier et les factures déposés souvent un peu n'importe où dans la cour par le facteur et les redistribuent. Ils sont « radio hutong » et agissent un peu comme des concierges bénévoles, ce qui leur donne l'impression d'être utile aux jeunes voisins et d'avoir une place dans la cour. Donc il faut être sympa avec eux et se les mettre dans la poche. L'inconvénient est que certains sont dures de la feuille et mettent donc la télé à fond ou crient quand ils parlent, et comme ils s'ennuient, ils mettent leur nez un peu dans tout, ce qui fait que tout ce que vous faites ou dites sera diffusé entre tous les vieux du quartier qui se retrouvent au coin de la rue pour discuter et donner les nouvelles quotidiennes lors du « flash info matin » de « radio hutong ».

La vie avec la Nature

Parler de la vie dans une maison à cour carrée sans parler d'animaux, d'insectes et de plantes serait un oubli impardonnable de ma part. Les hutong, c'est la vieille ville, les vieux bâtiments, les Pékinois, et ce sont aussi les arbres centenaires qui peuplent les cours et servent de parasols l'été, les chats qui courent sur les toits et braillent la nuit, les belettes qui sautent de toits en toits furtivement, les lézards qui grimpent le long des murs, les araignées qui tissent leurs toiles dans les vieilles toitures, les escargots qui rampent sur les pavés des cours après la pluie ou encore les affreuses « bêbêtes » comme les scorpions et les mille-pattes qui mettent un peu de piment dans une vie animalière parfois trop tranquille.

La plus grande différence que j'ai ressentie après avoir déménagé dans les hutong a été la température. Il fait effectivement plus froid dans une maison dans les hutong que dans un appartement. Mais ceux-ci, au contraire de ce que l'on croit souvent, sont chauffés, grâce à des radiateurs électriques (les poêles à charbon ont été interdits il y a quelques années) et sont assez bien isolés. Mais ils restent toujours plus froids qu'un appartement. Par contre, au printemps, lorsque le chauffage public est éteint dans les résidences au grand dam des gens qui se gèlent quand les températures redescendent intempestivement, les « hutongers », eux, peuvent continuer à chauffer puisque le chauffage électrique est indépendant ! L'été, les maisons sont bien plus fraîches que les appartements, grâce à la hauteur de plafond, aux arbres et au fait d'être proche du sol. Il suffit d'aérer et de garder les rideaux fermés pour que la maison reste fraîche naturellement. Un luxe quand on sait qu'il fait parfois plus de 40 degrés dehors l'été à Beijing.

Quand on a la chance d'avoir une petite cour, on peut aménager un jardin, faire des barbecues et profiter de l'extérieur de la mi-mars pratiquement jusqu'à la mi-juin quand la saison des pluies commence et qu'il commence à faire trop chaud pour rester à l'extérieur. Quand on a des lavandes et d'autres fleurs, des papillons et des abeilles viennent même visiter.

Quand il pleut, les hutong restent agréables, puisqu'on peut entendre le bruit de la pluie sur les feuilles des plantes dans la cour, l'entendre dégouliner depuis la toiture et profiter du calme. Puis tout redevient propre, la poussière accumulée pendant la saison sèche est lessivée par les torrents d'eau qui s'abattent sur la ville et le soir, il fait bon.

Car les hutong, c'est aussi ça : le silence. On se croirait à la campagne. En étant assis dans sa cour, regardant les noyers derrière le toit dans la cour des voisins, on s'imagine qu'il y a des champs derrière. On n'entend pas les voitures, les rues sont trop étroites pour qu'elles y roulent vite. On n'entend que les voisins qui discutent sur leur terrasse ou dans la cour d'à côté, les enfants qui jouent dans la rue, les pies et les chats qui se chamaillent. En été, la nuit on peut même entendre des chouettes et des grillons.

Après des années à vivre en appartement à Jinan et à Beijing, j'ai enfin retrouvé une des choses qui me manquaient le plus en Chine : le contact avec la Nature et un jardin où je peux être tranquille et faire abstraction du bruit, de l'agitation de la ville. Ne manque plus qu'une cheminée et c'est le Paradis.

 

Par SÉBASTIEN ROUSSILLAT

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Source: La Chine au Présent

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