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Une belle histoire d’amour

French.china.org.cn | Mis à jour le 26. 09. 2018 | Mots clés : Une belle histoire d’amour

Lisa Carducci

Une belle histoire d’amour

J’ai deux enfants nés de ma chair, une fille et un fils. Mais il existe d’autres formes de maternité tout aussi véritables. Qui n’aime pas les histoires d’amour? Je vais vous raconter la mienne.

Je suis arrivée en Chine en 1991, et j’y suis restée. En 1994, je visitais le Tibet pour la première fois, 12 jours, avec ma collègue anglophone de CCTV et un Chinois responsable de veiller sur nous.

À Xigaze, ma compagne et moi nous sommes arrêtées à un modeste marché de deux tables, tandis que les hommes restaient près de la voiture à causer et fumer.

L’une des deux vendeuses était une femme dans la trentaine. En regardant sa marchandise, je souris à sa mignonne fillette. Alors, la mère la poussa (gentiment) vers moi, avec un geste qui signifiait « prends-la, emmène-la ». L’enfant aux yeux et cheveux très noirs était bien coquette dans sa robe blanche. Elle me rendit mon sourire. La mère insistait en gestes et en paroles que sa collègue interpréta dans un chinois couci-couça: « Prends-la, je te la donne! Pas besoin de payer! »

Lorsque je crus le jeu terminé, je saluai de la main et m’apprêtai à partir. Le chauffeur klaxonnait d’impatience, mais la mère insistait pour que j’emmène sa fille. Je ne pouvais y croire! « Quel âge a-t-elle? » demandai-je. « Dix ans » répondit-elle, ajoutant promptement: « Est-elle trop vieille? J’en ai des plus jeunes, si tu préfères, des garçons. »

Ce que je voulais lui faire comprendre, c’est que dans trois ou quatre ans, sa fillette serait en âge de l’aider au marché, et aussi que jamais une étrangère pourrait prendre l’avion avec une enfant locale sans documents. Elle avait réponse à tout: « Je vais t’écrire un papier, que je te la donne, gratuitement! »

La femme avait donné le jour à des enfants de travailleurs saisonniers du Sichuan… Elle ne pouvait pas nourrir quatre bouches. Pendant qu’elle parlait, je me disais que ce serait un rêve de pouvoir envoyer cette enfant à l’école à Beijing, lui inculquant l’idée qu’une fois instruite, elle devrait retourner au Tibet aider les siens. Pas question d’en faire une « occidentale ». Je ne savais que faire. Le klaxon nous appelait… Je mis fin à la conversation abruptement, puisque nous ne pouvions nous comprendre.

Je n’avais même pas pris de photo de l’enfant, mais encore aujourd’hui, après un quart de siècle, ma mémoire garde fidèlement son image.

Six mois plus tard, à Beijing, je me rendis au bureau de Xiwang Gongcheng (Project Hope). Je dis que je voulais parrainer une fille, tibétaine, de dix ans. On me répondit que c’était impossible, l’organisme de charité couvrant tout le pays… sauf le Tibet. J’allais réagir fortement quand le préposé poursuivit: «… car au Tibet, l’éducation des enfants est absolument gratuite; tout est couvert par l’État: la scolarité, la pension, la nourriture, les livres, le transport. Si les enfants ne fréquentent pas l’école, ce n’est donc pas par manque de moyens. »

J’étais soulagée… Et dès ce moment je commençai à subventionner, via le Project Hope, l’éducation d’enfants défavorisés d’autres endroits du pays; les études primaires n’étaient pas encore gratuites et obligatoires à ce moment-là. Année après année, j’aiderais 14 de ces enfants: en Mongolie intérieure, au Ningxia, au Yunnan, au Gansu, soit douze garçons et deux filles.

En janvier 1995 se tint ma première exposition de peinture à Beijing; une autre devait avoir lieu en 2012. Puis une troisième est en préparation au Centre Confucius du Collège Dawson de Montréal. Tout le revenu (pas seulement le profit, qui est minime) de la vente de mes peintures et de mes livres, a été et sera toujours voué totalement à l’éducation des enfants démunis.

Une école tibétaine de Tongren en 2011

En 2005, offensée et déçue par ce que j’appellerais un détournement de fonds d’un organisme officiel, je décidai de continuer à agir, mais par moi-même. Et je choisis d’aider des filles, tibétaines, qui me semblaient les moins favorisées par l’aide officielle.

J’expliquai mon désir de subventionner les études universitaires d’une Tibétaine de 21 ans – symboliquement la petite que sa mère avait voulu me donner… Il ne fallut que trois jours pour que l’université de Médecine tibétaine de Lhassa me fasse parvenir (par télécopie à l’époque) la lettre de Gemar Yumtso(格玛永初 ), déjà en 2e de 5 années. La jeune fille était prometteuse; on l’avait acceptée « à crédit ». Je remboursai la dette, et devins dès lors sa gan ma (mère adoptive) comme m’appellent jusqu’à aujourd’hui tous les membres de sa famille.

Gemar Yumtso et sa sœur cadette

Quand, en 2006, je défrayai le voyage de Gemar Yumtso de Lhassa à Diqing (au Yunnan), pour qu’elle puisse passer le Chunjie (nouvel an chinois) avec sa famille qu’elle n’avait pas vue depuis trois ans, faute d’argent, j’allai moi aussi faire connaissance. Je trouvai la jeune fille bien maigre, et elle m’avoua, gênée, que quatre étudiants (pauvres) partageaient « un » plat à la cantine. Elle n’avait jamais osé me demander davantage…

Sa sœur ainée était totalement illettrée, et sa cadette (photo) avait quitté l’école sans terminer le primaire.

Je devais retourner deux autres fois dans son coin de pays, la préfecture tibétaine autonome de Diqing, au Yunnan, à une cinquantaine de kilomètres du Tibet. La famille et le village de Gemar Yumtso m’ont adoptée, et je suis chez moi parmi ces gens.


Depuis 2010, Gemar Yumtso est mariée à un enseignant devenu quelques années plus tard un inspecteur d’État de la sécurité de l’abattage pour fins alimentaires. Le couple a deux enfants: un garçon de 7 ans et une fille de 3 ans actuellement.

Combien merveilleux de constater combien UNE fille instruite dans un village peut changer la vie de tous les foyers!

Je l’ai vu de mes yeux, pour Gemar Yumtso comme pour les suivantes, et je ne peux que souhaiter à mes lecteurs d’être aussi témoins de ce phénomène.


Renqin Drolma(仁青卓玛) de Tongren au Qinghai, rêvait elle aussi d’étudier la médecine, un cours de cinq ans. Comme elle avait suivi un programme d’anglais pour Tibétains, avec une prof sud-africaine qui faisait parler les étudiants, au lieu de traduire, Renqin Drolma a bien appris et jouit maintenant d’un atout précieux. À l’issue de ses cinq années de médecine tibétaine, l’université lui a proposé de poursuivre en maitrise, mais les bourses étaient fort limitées. Donc, elle enseignerait à temps partiel tout en poursuivant ses recherches, et je me ferais un honneur d’assumer les frais d’une étudiante si talentueuse.

Aujourd’hui diplômée, elle poursuit l’enseignement de la médecine tibétaine. J’ignorais jusqu’à hier que dans ce domaine, tout se passait en langue tibétaine: les cours, les textes d’études, et la rédaction du mémoire. Ses cadets jumeaux entreront à l’université dans un an. Le garçon optera probablement pour la pédagogie, et la fille pour la médecine, elle aussi. Malgré cette nouvelle charge financière, la famille est toutefois plus à l’aise avec l’ainée qui travaille.

Renqin Drolma en 2011, avec ses frère et sœur, sur le toit de la maison familiale. Remarquez le bleu du ciel en temps ordinaire.


Entretemps, Sonam Dorjee (索南多杰)dont l’histoire légendaire mériterait d’être racontée, me soumettait le cas d’une jeune fille brillante, absolument sans famille, qui aspirait à fréquenter l’université. Elle avait été acceptée dans une institution du Jiangxi; l’année scolaire était sur le point de commencer. Je répondis que je l’aiderais « en attendant » de lui trouver un parrain, mais mon soutien allait durer jusqu’à la fin, conjointement avec ce parrain étatsunien, et outre. De plus, comme elle était seule au monde, Xindecao (鑫德草 ) deviendraitma protégée pour laquelle j’éprouve une tendresse particulière, et moi je serais sa nainai (grand-mère).

Depuis quelques années, mon bon ami Sonam Dorjee, conscient du pouvoir de l’instruction pour transformer la vie des pauvres, concentre son activité sur l’ouverture de jardins d’enfance tibétains de qualité, à Repgong (Tongren同仁) dans l’est de la province du Qinghai. Après avoir bénéficié d’un stage de trois mois aux États-Unis, il forme lui-même des enseignantes; un seul jeune homme engagé n’a pas résisté à la dose de patience nécessaire.

Xindecao, qui détient son permis de comptable et qui est à la recherche d’un emploi, devait devenir « en attendant » une parfaite enseignante auprès des tout-petits. Elle est douée d’une sensibilité maternelle extraordinaire, et elle suit à la lettre les principes d’enseignement que j’ai pratiqués pendant trente ans et aussi tenté de lui inculquer. De plus, comme elle parle chinois sans accent tibétain, elle est devenue la prof de chinois pour la classe des moyens et des grands du kindergarten. Chaque jour, Xindecao leur raconte une histoire en chinois, avec l’aide de gestes théâtraux; ils rient ou s’attristent là où il faut. Après un semestre, les enfants comprennent déjà et parlent aussi.


Alors que mes moyens financiers déclinaient et que j’avais encore des dépenses à encourir pour Xindecao, Sonam Dorjee m’appela encore une fois au secours. Drolma (卓玛),petite et timide, était sur le point d’entrer deuxième cycle du secondaire (高中). Ses parents sont nomades, ils suivent les troupeaux.

La fillette habitait avec ses grands-parents sans ressources. Elle avait été choisie pour fréquenterl’écoleHuangnan Zhou Minzu Gaoji Zhongxue (黄南州民族高级中学) à Tongren, où l’on n’admet que des étudiants performants et qui ont donc une chance d’aller à l’université. Mais encore fallait-il trouver des fonds... Seules les neuf années de scolarisation obligatoire sont gratuites en Chine. De plus, je devrais assumer la pension et les repas du weekend, quand la cafeteria est fermée, et les frais de transport aller-retour lors du congé mensuel de quatre jours. Cette nouvelle fleur sur ma route, pouvais-je la refuser? J’acceptai de me charger d’elle.

Les Han fréquentent des écoles dont la langue d’enseignement est le putonghua (souvent appelé « mandarin ») terme qui désigne tout simplement la langue commune, le chinois « ordinaire ». La langue de l’école, c’est le chinois. Dans les régions d’ethnies minoritaires, il manque d’enseignants compétents et sans accent. Pourquoi aider des Tibétaines plutôt que des jeunes des 54 autres ethnies minoritaires qui forment le peuple chinois? C’est le fruit du hasard. Pourquoi des filles? Parce que les rares bourses d’études semblent aller davantage aux garçons.

Des gens qui croient tout savoir sur la Chine dénoncent à cor et à cri un « génocide culturel » au Tibet. Au contraire, il faut savoir que le Tibet est l’une des cinq régions autonomes, donc gouvernée par des Tibétains, et que sa population est tibétaine à plus de 90 %. On clame aussi que le gouvernement national déploie des masses de Han au Tibet mener la barque à la façon chinoise. Pourtant, même pour l’enseignement de la langue nationale, le Tibet doit compter sur ses propres ressources, et dans un grand nombre de cas, les enseignants tibétains de langue chinoise ne la maitrisent pas. Au moment d’entrer à l’université, les étudiants tibétains réussissent le gaokao (examen d’État pour accéder à l’université) mais échouent en langue chinoise.

En 2008, je m’adresse en chinois au personnel d’une école primaire du Qinghai. Personne ne répond; aucun enseignant ne parle chinois, y compris le prof de langue chinoise.

Il faut aussi savoir que les Tibétains ne vivent pas tous au Tibet. Ils sont nombreux au Qinghai, au Yunnan et au Sichuan. Le Qinghai est une province, pas une région autonome; donc son gouvernement est chinois et sa langue est le chinois. Les enseignants de langue chinoise dans les régions ethniques manquent souvent de préparation, et leur enseignement n’est donc pas efficace. Une de mes filles tibétaines du Qinghai, Kamaojia (卡毛加) a dû faire une année de chinois entre le secondaire et l’université où elle étudie maintenant sixiang zhengzhi思想政治. Alors que je la comprenais difficilement au moment où on me l’a présentée, j’avais peine à croire, un an plus tard, que je parlais à la même personne!

Sa cadette Wandecuomao (完德措毛) est aussi une jeune fille brillante, déjà diplômée en informatique et publicité suivant un cours de deux ans, et elle est à la recherche d’un emploi. Leur mère, devenue veuve à 38 ans, travaille actuellement dans la buanderie d’un hôtel. Il lui est difficile de se faire engager parce qu’elle ne parle pas chinois. Les filles travaillent aussi à temps partiel. Ne vaut-il pas la peine d’aider une telle famille?

Les deux ainées et la cadette au centre

Xindecao et Wandecuomao regardent des photos de « mes filles tibétaines »

Voilà donc l’histoire d’amour que j’ai racontée à « mes filles » le 11 aout 2018. Elles étaient assises par terre autour de moi dans le salon de Sonam Dorjee qui nous donnait l’hospitalité à Repgong (en tibétain, ou Tongren en chinois) dans la province du Qinghai.

Origine de ce projet de rencontre

Le 14 juillet 2018, comme j’étais au Canada, j’ai raté de quelques jours le mariage de Xindecao et Thaklha, tous deux âgés de 24 ans. Mon retour en Chine marquait donc le moment de réaliser ce vieux rêve de Sonam Dorjee: voir toutes mes filles tibétaines réunies à Tongren. Je m’y rendis le 10 aout. Elles sont toutes venues, même Gemar Yumtso qui, après dix heures de route, devait prendre un avion de Shangrila pour arriver à 23 heures à Xining, laissant à leur grand-mère ses deux jeunes enfants.

Kamaojiaétait alors à Hainan dans le sud de la province où, avec d’autres jeunes de son université, elle faisait du rattrapage scolaire auprès d’enfants peu favorisés par l’éducation, pendant les vacances. Quel bonheur pour moi de voir une de mes filles suivre mon exemple de dévouement bénévole auprès des jeunes! L’enseignement m’a toujours tenu à cœur, soit en le dispensant moi-même, soit en finançant les « écoles d’hiver » pour les jeunes Tibétains du Qinghai.

Kamaojia fait du rattrapage scolaire bénévole auprès d’enfants du sud de la province du Qinghai.

Elle devait revenir la veille de mon départ, pour me consacrer un après-midi entier. Après un déjeuner offert par Sonam Dorjee à ses enseignantes en stage, et auquel Kamaojia et moi avions été invitées, nous avons gravi la montagne jusqu’au sommet du temple Longwu, puis nous sommes promenées dans les rues. J’ai pu constater la modernisation incroyable et l’aménagement naturel des grandes surfaces.

Malgré la modernisation, les traditions demeurent comme le montre l’habillement traditionnel de ces hommes qui ont bien voulu accepter de se faire photographier.

Sur la photo, Kamaojia et moi sommes devant le musée d’Arts populaires tibétains, que nous avons visité bien qu’il ne soit pas tout à fait aménagé.

Nous avons rencontré le grand-père de Kamaojia, assis à l’ombre avec d’autres vieillards, et sa petite-fille est allée lui acheter des cigarettes et des graines de tournesol.

Sur cette photo apparaissent la cousine et la sœur de Kamaojia.

On dirait des triplées. Wandecuomao adore sa grande sœur; aussi m’a-t-elle rappelé que son ainée danse très bien, ce qui a obligé Kamaojia à s’exécuter.

Cette photo a été prise au cours de danse.

Xindecaos’est absentée d’un stage important dans la capitale provinciale pour passer quelques heures en ma compagnie.

C’est d’ailleurs avec elle que Sonam Dorjee est venu me cueillir à l’aéroport. Quelle émotion! Embrassées jusqu’à la voiture, nous ne pouvions retenir nos larmes, et la voix nous restait dans la gorge. Le soir, Sonam Dorjee dut refaire en ma compagnie, pour Gemar Yumtso, l’aller-retour à l’aéroport de Xining, soit 4 heures de route pour la seconde fois de la journée.

En route, je me souvenais du temps – avant le perçage d’une série de tunnels sous la montagne – où il fallait plus de 13 heures d’autocar de la gare routière de Xining à Repgong… J’ai eu l’occasion de constater, les jours suivants, combien cet immense xian, un des plus pauvres de la Chine au moment de ma découverte en 2003, a changé. Déclaré « hors de la pauvreté » en 2010, Tongren sera promu au rang de « cité » dans un proche avenir. Par ailleurs, Tongren est sur la liste du patrimoine mondial depuis 2008.


Quand Xindecao était une orpheline absolument sans famille, je l’ai invitée deux fois à venir passer le Chunjie (Nouvel An chinois) avec moi à Beijing. Nos rapports sont donc particulièrement étroits. Comme j’étais au Canada, j’ai raté son mariage en juillet. Et cette fois, je n’ai pas eu l’occasion de connaitre son mari qui était lui aussi en voyage d’affaires, ni sa famille. Xindecao est extrêmement reconnaissante à son destin, car elle a maintenant des personnes qu’elle peut appeler ba et ma.


Les jeunes mariés étaient des camarades de classe au secondaire. Entretemps, je me souviens d’une année où, pendant les vacances du Chunjie, ils étaient allés tous deux faire du bénévolat dans une résidence pour personnes âgées non autonomes.

Aussi, Xindecao, impressionnée par mes nombreux dons de sang, a-t-elle entrainé d’autres jeunes dans cet acte humanitaire.

Le 11 aout, à 11h,voilà tout ce beau monde réuni autour de moi. Il manque Kamaojia, mais sa mère est présente. Je raconte en chinois l’histoire de l’une et de l’autre; ainsi font-elles connaissance, et deviennent-elles des « sœurs ». Elles échangent leurs données de contact, et nous prenons des photos. Après avoir longtemps parlé seule, je demande à chacune d’exprimer ce qu’elle considère important dans la vie. Ma question est-elle trop vague? Car aucune ne demande la parole, et je vois qu’il ne s’agit pas de timidité. Je reformule: définir ce qui fait, selon vous, qu’une vie est « réussie » ( 成功).

Pour la cadette, Drolma, le succès consiste à réussir l’entrée à l’université pour étudier la médecine; mais il ne s’arrête pas là. Une fois diplômée, elle considère la profession comme un apport humanitaire à la société.

Gemar Yumtso, diplômée en médecine tibétaine, travaille pour le gouvernement local de son patelin dans la province du Yunnan; son emploi a rapport à la médecine, mais la pratique de son savoir s’exerce dans son milieu familial et social. Faire du bien dans sa région, soutenir ses parents âgés et ses sœurs illettrées, c’est le succès que le fait d’avoir étudié lui permet de rencontrer. « Pouvoir faire ce qu’on pense, c’est ça, réussir sa vie! »

Renqin Drolma, qui rapporte maintenant un revenu à sa famille, rêve de voir ses cadets jumeaux entrer à l’université en septembre 2019. Jusqu’à maintenant, ils étudient sérieusement et la grande sœur est satisfaite. « Mon frère deviendra probablement enseignant, et ma sœur médecin. Je vais les soutenir financièrement. Puis ensuite, tous les trois nous aiderons d’autres personnes. C’est ce que j’espère réaliser. »

Pour Xindecao, les sentiments, l’amour, sont très importants dans une vie réussie. Ces mots venant d’une nouvelle mariée n’ont rien d’étonnant. Elle accorde une grande place aux relations familiales harmonieuses; elle aime beaucoup « faire plaisir » aux enfants de maternelle à qui elle enseigne, mais aussi, avec son mari qui était son compagnon d’études au secondaire, elle a fait et fera encore du travail social auprès des vieillards, par exemple.

Wandecuomao n’a pas encore d’emploi dans son domaine d’études après un cours de deux ans, et elle souhaite en trouver au plus tôt afin de soutenir sa sœur ainée qui, elle, suit un cursus universitaire de quatre ans.

Kamaojia, à qui je poserais la question deux jours plus tard, devait répondre que vu que son père est décédé et qu’elle n’a pas de frère, certaines fonctions religieuses qui doivent être exécutées par les hommes ne sont pas remplies par sa famille. Elle souhaite donc qu’un homme entre bientôt dans sa famille afin de pallier cette lacune. Elle souhaite également pouvoir faire soigner sa mère, qui souffre de plusieurs petits problèmes de santé bien que encore dans la jeune quarantaine, et enfin, pouvoir aider les enfants dans le besoin comme elle vient tout juste de le faire bénévolement pendant 20 jours.


Suivant ces deux heures d’intenses échanges, j’ai distribué aux jeunes filles des bijoux que je ne porte plus (parce que j’en ai trop), des produits hygiéniques que les hôtels gaspillent au nom du service 5 étoiles, des blocs-notes faits de papier utilisé d’un seul, etc., de petits objets d’artisanat utiles, faits de papier usagé, de bouchons de plastique ou d’autres matériaux de récupération, de manière à leur enseigner à sauver la nature en évitant le gaspillage, et à développer leur imagination. Remarquant que chacune voulait laisser les autres choisir les premières, je suis intervenue en leur disant que dans la vie, il faut – tout en restant poli – « oser ». Qui n’a pas le courage de ses désirs et intentions restera toujours derrière. Sur ces mots, les mains se sont allongées et les « petits cadeaux » ont trouvé une destinataire.

Première rencontre entre Drolma et moi

Après cette émouvante réunion du samedi matin, j’ai distribué aux jeunes filles des bijoux que je ne porte plus, des centres de table crochetés par moi-même ou par ma grand-mère, des produits de toilette que les hôtels fournissent trop généreusement, des biscuits « tibétains » que j’avais confectionnés à base de suyou (beurre tibétain) et de tsera (croute de lait qui se forme au fond de la casserole), des blocs-notes que je fabrique à partir de papier utilisé d’un seul côté, etc. Tous ces objets avaient une signification éducative – qui a été bien comprise, je crois: d’abord, oser affirmer ses désirs; ensuite, ne prendre que ce qui servira.

Puis, ce fut la visite du kindergarten Gesanghua, du nom de cette fleur qu’on appelle « cosmos » en français et en anglais.

C’est le premier jardin d’enfance tibétain et privé du Qinghai; il a été ouvert par Sonam Dorjee.

Quel enchantement! Des pièces spacieuses et bien éclairées, meublées non de pupitres mais de tables et tabourets de plastique aux couleurs vives, plaisants pour les enfants qui ne sont pas là pour apprendre des matières scolaires mais pour développer leur potentiel humain et social au moyen de méthodes empruntées à la grande pédagogue Montessori.

Les filles et moi n’avons pas connu l’école maternelle. En voyant cette merveille, nous aurions eu envie de retourner à l’enfance. Ce kinderkarten très propre et moderne; les petits prennent deux repas par jour et une collation d’après-midi. Ils ne font pas la sieste par terre mais ont des lits et des couvertures fournies. Sur le toit, dans un paysage époustouflant, un terrain de jeu est aménagé.

Mais surtout, aux tout-petits, on parle tibétain; puis les moyens et les grands apprennent aussi le chinois, langue seconde, sans perdre leur culture d’origine. C’est l’essentiel de « ce » jardin d’enfants.

Repgong est la plus importante concentration tibétaine de la province. Une immense carte murale à l’entrée du jardin d’enfance montre ses 48 temples, où vivent plus de 2000 lamas. À Repgong on trouve aussi une mosquée et 600 familles hui musulmanes.

L’après-midi s’est achevé par le repas que j’offrais dans un restaurant tibétain choisi par Sonam Dorjee. C’était la première fois et sans doute la dernière que je partageais un diner avec toutes mes filles ensemble.

Une fois de plus, je prêche la lutte au gaspillage. Tous les restes seront emballés pour être rapportés.

La jeune Drolma devait rentrer immédiatement après le diner; Xindecao devait retourner à son stage à Xining; Kamaojia n’arriverait que dans deux jours.


Le lendemain, dimanche, je devais aller avec Gemar Yumtso dans la famille de Rinqen Zhuoma. Elle et son frère, qui atteint maintenant 1m80, comme son père, viennent nous chercher en taxi. Nous visiterons d’abord, sous une pluie fine, le temple Longwu, le plus ancien de la secte Geluk, construit en 1301, et occupant aujourd’hui 1700 m2.

Avec mes deux ainées, à Longwusi.

Nous ferons une visite rapide, sous une pluie fine, avant de nous diriger vers le village de Renqin Drolma, Jiangshenjia.

Je retrouve avec plaisir ses parents, un peu vieillis. La « photo de famille », dont j’ai l’honneur de faire partie, est toujours affichée dans la salle de réception.

Renqin Drolma me montre fièrement ses titres et licences durement gagnés.           

Sa mère s’est blessée à une jambe en travaillant dans les champs il y a quelques jours. Mais je m’inquiète de voir sa bouche paralysée.       

           

Renqin Drolma m’explique: un jeune homme de 19 ans est mort noyé la veille. Dans chaque famille qui lui est liée, une personne doit garder silence et jeûner une journée entière en signe de deuil, et c’est sa mère qui joue ce rôle. Mais en cas de besoin, elle parlera d’un côté de la bouche seulement, comme en cachette.

Puis, nous partons déjeuner dans une autre famille apparentée, qui procède aujourd’hui à une cérémonie exceptionnelle. Dans la salle « de prières », une dizaine de lamas récitent des soutras toute la journée pour le

jeune défunt.

En même temps – mais indépendamment – se déroule l’autre cérémonie. Le chiffre 1000 est considéré comme la parfaite entité; afin de préparer un monde meilleur pour la prochaine génération, la famille va bruler 1000 bâtons d’encens; lancer 1000 pétards; allumer 1000 lampes à beurre. Dans le cas présent, la famille possède 84 gobelets de bronze; on reprendra donc l’opération plusieurs fois pour un total de mille lampes, avec lavage et polissage des gobelets suivant chaque séance. Les femmes exécuteront des prostrations de la longueur de leur corps, en diverses séances jusqu’au total de 1000. Ce dernier exercice requiert beaucoup d’énergie et est très fatigant, de même qu’il est difficile à décrire en mots, mais les lecteurs auront eu l’occasion de voir de quoi il s’agit dans n’importe quel documentaire sur les pratiques tibétaines, probablement.

Tout cela se déroule pendant un repas copieux préparé pour la famille et les invités. Cette cérémonie a lieu une fois par famille. Toutefois, si l’on dispose de moyens, on peut la répéter autant de fois qu’on le veut.

En fin d’après-midi, Huadanjiap va remplacer sa jumelle Huadantso à la garde des vaches dans la montagne afin qu’elle puisse venir nous rencontrer. Comme ils ont grandi, les jumeaux! Je suis maintenant la plus petite de tous! Puis, nous nous acheminons vers la route où nous trouverons une voiture pour nous ramener chez Sonam Dorjee.

Comme il me plait de retrouver ces lieux où j’ai plusieurs fois passé de beaux jours! Et de voir aujourd’hui Renqin Drolma se lier d’amitié avec Gemar Yumtso, mes deux « ainées » et toutes deux diplômées en médecine tibétaine!

Depuis ma visite précédente, l’État a pavé tous les sentiers d’entrée des maisons du village; on a aussi éclairé les rues. Le village est entièrement électrifié et les fils qui traversent les airs sont aux couleurs tibétaines, rappelant les bannières de prière qui flottent dans le vent (rouge, vert, jaune, blanc; il manque le bleu parce qu’il ne faut que quatre fils, je suppose). Les deux jeunes femmes échangent sur les améliorations réalisées par l’État, chacune dans sa province respective – Yunnan et Qinghai, et dans son village. Elles comparent l’architecture, qui diffère passablement, et la répartition des champs agricoles, les cultures possibles à une altitude dépassant 3000 mètres aux deux endroits (pas de riz ni de blé, entre autres cultures), de même que certaines traditions religieuses ou culturelles, et leurs dialectes. Je marche derrière elles et les écoute, émue.

En ce dimanche soir, Gemar Yumtso ira au lit dès 21h, car demain matin, elle quittera la maison à 5h pour se rendre à l’aéroport. Toutefois, dès 11h30, son texto m’annonce qu’elle est parvenue à Lijiang; il ne lui reste que 10 heures de route à parcourir pour arriver chez elle.

Pour ma part, il me reste des gens à voir que je ne réussis pas à joindre. Ma dernière journée, la cinquième, sera celle que je passerai avec Kamaojia. Je prendrai mon dernier diner chez elle, jouissant de l’excellente cuisine de sa mère – des mets simples mais succulents. La brave femme ne me laissera pas partir sans un pain de 3 kg qu’elle vient de cuire pour moi, ainsi qu’un kilo de suyou (beurre) et un sac de précieux zhouma (cordyceps), la seule richesse naturelle des Tibétains du Qinghai, pourtant en voie de disparition. 



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Source:french.china.org.cn