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La porte du destin
Jiang'er•Rehati, Kazakhe

Jiang'er•Rehati est établie tout à fait au nord-est du Xinjiang, à Fuhai (Burultokay) dans la préfecture de Altay. Je suis arrivée chez elle de Burqin en voiture un dimanche matin ; elle m'attendait à l'entrée de la modeste cour de sa belle, grande et confortable maison. Jusqu'à maintenant, j'ai remarqué chez les Kazakhs beaucoup de tapis dans toutes les pièces. Jiang'er m'a priée de ne pas me déchausser. En fait, elle avait pris la précaution de rouler le tapis du salon où elle m'a fait entrer. Dessous, les carrés de céramique blanche se nettoieraient facilement au besoin.

Née à Manas, dans le département autonome hui de Changji, Jiang'er est l'ainée de quatre enfants ; elle a une sœur et deux frères qui sont l'un professeur et les deux autres cadres dans un bureau. Quand Jiang'er était encore enfant, sa famille est venue vivre à Fuhai, puis est retournée à Manas en 1986, mais elle est restée.

Jiang'er me paraissait fatiguée, avec raison car elle revenait d'une réunion de quatre jours à Urumqi et était rentrée quelques heures avant mon arrivée. Il s'agissait d'une réunion de préparation au XVIIe Congrès du Parti communiste qui aura lieu en octobre. Jiang'er vient d'être élue pour y participer, et son mandat durera cinq ans. Aussitôt à la maison, Jiang'er a dû répondre patiemment au téléphone et même faire des appels pendant notre entrevue.

J'avais entendu dire qu'elle était sage-femme, mais bien que sa carrière ait débuté ainsi, Jiang'er est bientôt devenue gynécologue et obstétricienne. Après ses études secondaires en 1970, Jiang'er a été assignée à un hôpital en tant qu'infirmière. Comme beaucoup d'autres Chinois qui ont commencé à travailler à cette époque – en pleine Révolution culturelle – Jiang'er a appris son métier en mettant la main à la pâte. Un jour qu'elle était à la maison, le temps est venu pour la voisine d'accoucher. Sa mère et elle sont allées l'assister : un accouchement difficile qui risquait de mal tourner. La mère de Jiang'er est allée appeler le médecin tandis que la jeune fille de seize ans demeurait auprès de la femme en couches qui transpirait, criait, pleurait. Avant l'arrivée du médecin, la mère a mis au monde un enfant mort-né. Jiang'er s'est alors dit : « Si j'avais été médecin, j'aurais pu le sauver. » La porte de son destin venait de s'ouvrir et l'étudiante s'inscrivit à l'Institut de médecine de Urumqi d'où elle sortit diplôme en main.

Jiang'er me raconte une anecdote de sa carrière. C'était en mai 1980. Un jour qu'elle était seule à l'hôpital, elle entend appeler son nom et accourt, mais avant qu'elle ait pu conduire dans une salle décente la femme sur le point d'accoucher, l'enfant nait dans le corridor. Le bébé a la bouche remplie des excréments de la mère ; il va suffoquer. Devant le regard horrifié du père éploré, sans hésiter et au mépris du dégout, elle pratique la respiration artificielle sur le nouveau-né. La mère et l'enfant survivent.

Comme le chinois n'est la langue maternelle ni de Jiang'er ni la mienne, nous nous méprenons parfois sur le sens des paroles l'une de l'autre. Ainsi, quand je lui demande combien d'enfants elle a mis au monde, elle me répond : « Un seul : une fille », en m'indiquant la photo d'une jeune femme, diplômée en informatique, et qui travaille à l'hôpital Renmin de Urumqi. Je reprends ma question et obtiens cette fois le joli chiffre de 6 000 bébés en trente-six ans. La gynécologue travaillait auparavant à l'hôpital Renmin de Fuhai où six gynécologues sont en service, jusqu'au moment d'être assignée au Centre de protection de la santé des mères et enfants, toujours à Fuhai. L'époque est passée où l'on accouchait à la maison, et depuis 2000, Fuhai n'est plus classé parmi les districts pauvres.

Par ailleurs, si les travailleurs des villes de Chine et les employés d'entreprises jouissent d'assurances, les agriculteurs et éleveurs restent loin derrière. Avec le système mis à l'essai en 2003, les gouvernements central et régional versent une prime d'assurance médicale de base pour chaque fermier, et l'assurance accouchement couvre tous les frais pour les travailleurs qui y participent et une fraction des frais pour les travailleurs ruraux autonomes. Au Xinjiang, quarante districts dont Fuhai sont couverts par ce système, selon Jiang'er.

La gynécologue ne reste pas enfermée dans son hôpital. Elle fait des tournées d'inspection et d'éducation et de la médecine préventive parmi les Kazakhs nomades.

Son mari, qui était chauffeur, est maintenant à la retraite. Quant à elle, âgée de 54 ans, il lui reste six ans à travailler ; très occupée par sa profession, elle n'a pas encore envisagé la façon dont elle disposera de son temps le moment venu. « On verra plus tard. » La gynécologue dit que peu de jeunes aujourd'hui songent à devenir médecin. « La pression est trop forte, bien que le salaire soit convenable », explique-t-elle. Pour sa part, Jiang'er travaille huit heures par jour. Le weekend, on le passe à l'hôpital à tour de rôle, et il n'y a pas de vacances annuelles. Ce qui lui cause le plus d'ennuis et d'inconfort, c'est que le Centre est beaucoup trop petit. « Tous les services rassemblés sur 520 m2, c'est inhumain ! Seulement en gynécologie nous sommes cinq. Nous suivons les femmes pendant la grossesse, et quand elles sont prêtes à accoucher, nous les envoyons à l'hôpital. Ensuite, c'est le suivi de la mère à la maison pendant sept à quinze jours, et de l'enfant parfois jusqu'à six mois. »

De quoi souffrent particulièrement les femmes kazakhes ? « De haute tension artérielle et d'anémie surtout. Cela est dû à leur alimentation. Notre peuple est encore nomade, partiellement du moins. De mai à octobre, les éleveurs partent avec les troupeaux et pendant ce temps, ils ne consomment pas de légumes et de fruits. Nous déconseillons fortement la vie nomade aux femmes enceintes. »

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