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Des pics qui touchent le ciel
Wang Tienan, Han

Lisa Carducci

Il habite Urumqi, près de l'Université du Xinjiang. Basané sans excès, Wang Tienan frappe surtout par la bonne santé qui se dégage de sa personne. Et pour cause, on le verra. J'arrive chez lui à 11 h. Au Xinjiang, on travaille en général de 9 h 30 ou 10 h à 14 h et de 16 à 20 h en général. Dans plusieurs maisons et bureaux, on voit deux horloges : l'une indique l'heure de Beijing, qui est celle de tout le pays, l'autre l'heure locale, soit deux heures de moins. Les repas se prennent généralement à 8 h, 14 h et 21 h.

Dans le petit bureau où l'ordinateur et la bibliothèque sont installés, mon regard est accroché par quelques photos des grands moments de la vie d'alpinisme de Wang, ainsi que par un très ancien pic de grimpeur à manche en bois. Trois paires de skis dernier cri sont appuyés au mur, car toute la famille pratique ce sport. Et comme c'est la saison, une dizaine de pastèques et de melon de Hami s'alignent sagement le long du mur, cherchant à se faire le plus discrets possible.

Wang est né en novembre 1956 à Changchun, dans la province du Jilin. Il n'avait qu'un an lorsque ses parents sont arrivés au Xinjiang. Son père était un spécialiste des maladies animales contagieuses et sa mère, une infirmière. Ils sont venus aider le Xinjiang à se développer, et sont restés, comme la plupart de leurs congénères arrivés à la même époque. L'épouse de Wang, Cheng Zhanxiang, vient d'une famille originaire du Hunan. Lorsque ses parents sont venus au Xinjiang en 1961 dans le cadre de la même cause, sa mère était enceinte de six mois. Cheng est donc née au Xinjiang. Dès que nous avons commencé à converser, j'ai eu l'intuition qu'elle était née au sein d'une famille de militaires ; je ne me trompais pas, de même qu'en pressentant qu'elle était professeur. En fait, elle et moi sommes des consœurs d'enseignement au secondaire.

Lorsque Wang Tienan a terminé ses études secondaires en 1975, soit un an avant la fin de la Révolution culturelle, les jeunes « intellectuels » étaient envoyés refaire leur éducation auprès des paysans, et Wang a été envoyé à l'est des monts Tianshan. C'est alors qu'il a commencé à s'intéresser aux vastes espaces et aux montagnes. En 1977, il est entré à la faculté de physique de l'Université normale du Xinjiang, puis, devenu ingénieur, il a travaillé et travaille toujours à l'université de la Télévision du Xinjiang. Il y a enseigné une dizaine d'années, et aujourd'hui, il s'occupe du système informatique de cette institution.

Ce n'est qu'en 1989 qu'il a entrepris sa première escalade de montagne, une excursion de trois jours à un sommet de 3 650 m des Tianshan et une inclinaison de 90 km. Car non seulement la hauteur d'un pic mais sa pente, douce ou ardue, compte pour beaucoup dans le degré de difficulté et de danger. Avant la décennie 1990, Wang Tienan explorait surtout les déserts. À ce jour il a escaladé plusieurs sommets des Tianshan et des Kunlun – des endroits où bien peu de gens ont mis les pieds. Il trouve moins intéressants les monts Altay, la chaine la plus au nord du pays, parce qu'elle offre moins de défis. La durée des excursions va de cinq jours à un, deux ou trois mois. Parfois Wang part seul, parfois avec quelques amis, parfois comme guide. La hauteur des pics conquis atteint 3 650 m, 4 480 m ou 5 180 m, et la distance parcourue varie de 60 à 900 km. Les groupes comptent entre cinq et quarante participants.

En 1998, Wang Tienan a été le premier Chinois à atteindre la cime du mont Bogda, le sommet principal des Tianshan, à 4 400 m. Un Japonais avait réussi l'expérience en 1981.

L'année 1999 a été particulière pour l'alpiniste Wang et une escalade vaut d'être racontée en détail. Le 3 juillet, l'Équipe d'escalade du sommet Mustaghata (Muztagh Ata, ou père des glaciers) composée de quinze membres se met en route vers la cime de 7 546 m. Le 8 juillet, les alpinistes établissent leur campement à 4 300 m. Douze jours plus tard, soit le 20 à 7 h 30, ils parviennent à 6 700 m. À 30 oC sous zéro, ils grimpent pendant sept heures pour parvenir enfin, à 14 h 40, à la cime.

Jusqu'à maintenant, Wang a escaladé cinq fois le mont Bogda ; il a traversé le Taklimakan, dont le nom signifie « mer de la mort ». C'est le troisième plus grand désert du monde après le Sahara et le Kalahari. On y voit des dunes de 40 m de hauteur. La température y varie de moins 40 °C en hiver à plus 50 °C en été. Un tel climat ne permet aucune vie ! En 1992, Wang et une équipe de Japonais l'ont traversé d'est en ouest – 900 km ; il leur a fallu trois mois.

Les sommets que préfère Wang sont ceux qui requièrent de la technique ; les plus difficiles en fait. Mais les plus difficiles sont aussi les plus dangereux. « Deux menaces guettent l'alpiniste. D'abord, les vents de sable : à midi il fait aussi noir que la nuit. Lors d'une excursion avec deux-cents chameaux, nous avons subi un tel vent qui nous a couté la vie de cent-trente chameaux. » Je m'étonne que tant de bêtes aient péri mais aucun homme. Wang m'explique que les chameaux sont grands et ne peuvent se cacher dans des trous ; de plus, ils transportent le matériel et ils sont épuisés. L'autre menace, ce sont les failles cachées sous une couche de neige vierge. Quand on y tombe, on y reste.

Et les avalanches ? « Oui, répond l'alpiniste, mais elles sont moins fréquentes et souvent prévisibles. Un jour, en redescendant d'un pic, nous avons rencontré trois Hongkongais qui montaient. Nous avons échangé quelques phrases. Mais ils ne sont jamais redescendus… Il y a un Japonais aussi qui est mort en montagne et dont nous avons trouvé le corps. » Wang Tienan lui-même a failli laisser sa vie dans la montagne plus d'une fois. Il raconte une mésaventure : un jour qu'il était parti seul en excursion, il s'est arrêté à une altitude de 6 800 mètres et a causé avec deux Français qui s'installaient pour passer la nuit. Il était fatigué et avait envie de dormir dans leur tente, mais elle était trop petite. Il est reparti, seul, dans l'obscurité, et est tombé dans une faille. À cinq mètres de profondeur, il a trouvé un appui. Afin d'éviter de glisser davantage, il s'est accroché et a décidé d'attendre la lumière du matin pour tenter de remonter. Ce qu'il craignait le plus, c'était de s'endormir. À -15 oC, le gel aurait été fatal. Pendant huit heures il a bougé sans cesse ses mains et ses pieds. L'aube venue, il a réussi à sortir seul de la faille et une fois la brume dissipée, il s'est aperçu qu'il était presque arrivé au but : 200 mètres.

Wang Tienan est président de l'Association d'alpinisme et exploration de Urumqi (qui compte environ 80 membres) depuis le décès du président précédent qui a occupé le poste un an seulement. Voici comment les choses se sont passées. En 2001, Dong Wuxin, un très bon ami de Wang, faisait partie de l'expédition sur la Route de la soie au sud des Tianshan. À la vue d'une pierre qui faisait penser à une stèle funéraire, Dong a écrit sur la surface lisse Wu ming mu (Tombe anonyme). À côté de la pierre il a placé un crâne de cheval blanchi par le vent sur lequel il a tracé : Dong Xia (Dong le fort). Deux jours plus tard, lors de la traversée d'un cours d'eau rapide, Dong est tombé à l'eau. Avec des câbles, ses compagnons auraient peut-être pu le sauver mais cette fois, on avait laissé les câbles dans le véhicule. Tous l'ont vu perdre pied, se débattre, et être avalé par les flots. Wang a photographié son corps à la dérive. Impossible de le rattraper. Ce n'est que trois mois plus tard, à la deuxième séance de recherche à laquelle Wang Tienan a lui-même participé, qu'on l'a retrouvé. En été 2002, Wang est retourné répandre les cendres de Dong dans ses chères montagnes. Il ne pourra jamais oublier cette scène.

Chez Wang Tienan, l'ambiance est chaleureuse et la maison est toujours pleine d'amis. En effet, pendant cette entrevue, trois personnes sont venues : des alpinistes. Son fils a aussi téléphoné. Il a 21 ans et est en première année d'université au Kazakhstan où il étudie le russe. Rentré en Chine pour les vacances, il escalade actuellement le Mustaghata à la tête d'un groupe de trente-huit dont deux Tibétains. Son père lui conseille au téléphone de ralentir son rythme. Il a beau être jeune et en bonne santé, l'ascension depuis Kashgar jusqu'à 4 000 mètres a été beaucoup trop rapide selon l'expert. « On devrait mettre vingt jours à atteindre ce sommet, bien qu'il soit possible de le faire en dix jours », m'explique Wang Tienan en raccrochant, avant de reprendre la conversation comme si de rien n'était. Il ne s'inquiète pas pour son fils, qu'il entraine depuis l'enfance. À l'âge de 13 ans, l'adolescent dont la taille atteint aujourd'hui 1,80 m, a accompagné son père au sommet du Bogda.

Quant à l'épouse de Wang, elle ne s'inquiète pas outre mesure non plus quand son mari part en expédition. La radio à ondes courtes les garde en contact. Mais quand des nouvelles arrivent après deux ou trois jours de silence, elle se sent soulagée.

« Les Chinois se sont mis assez tard à l'alpinisme, dit Wang, et les premiers groupes venaient principalement de Beijing, de Guangzhou et de Shenzhen. Mais ces deux dernières années, ce sont les gens du Zhejiang et du Fujian qui viennent escalader nos montagnes du Xinjiang. »

Wang Tienan aimerait bien escalader les Alpes ou d'autres monts célèbres du monde, mais cela coute très cher : le permis, les guides locaux, des porteurs, bref, une vingtaine de personnes, et des animaux. Le matériel est lourd et varié. Chaque alpiniste requiert quatre bouteilles d'oxygène. Et les tentes. Et la nourriture. Il faut un cuisinier aussi. Tout ce monde doit être payé. Le Qomolangma aussi est cher : 200 000 yuans par équipe. Cinq membres de notre Association d'alpinisme et exploration de Urumqi viennent d'y aller, en mai, après deux mois de préparation. Wang n'en faisait pas partie, mais il s'est rendu au Tibet et est allé encourager les alpinistes. Cela ne lui a pas porté chance ; sa moto a glissé et il s'est gravement blessé au genou droit. Il devrait subir une seconde intervention chirurgicale dans quelques jours.

Que fait-on des bouteilles d'oxygène vides ? Ma question fait sourire Wang, qui hoche la tête. « De la pollution. Vous avez entendu parler de la pollution du Qomolangma ? On laisse tout sur place, y compris les vieilles tentes qui ne serviront plus. Il faut ensuite des équipes de volontaires pour ramasser les déchets, une quantité inimaginable ! Les équipes d'alpinistes sont très nombreuses maintenant ; elles font la queue pour attendre leur tour de monter. »

Pour satisfaire une vieille curiosité, je m'enquiers : « Comment le chef de file peut-il monter puisqu'il n'y a pas de câbles de posés ? » – « Le premier de cordée se sert d'un pic et de clous pour ouvrir le chemin. C'est lui qui installe les câbles pour les suivants. Certains sommets sont très hauts mais ne requièrent pas de câbles ; parfois il faut 3 500 m de corde ; on remonte le câble et recommence, cinq ou six fois. »

À la maison, Wang aime bien lire. Surtout dans le domaine de l'informatique. Il a déjà écrit quatre livres sur l'alpinisme et un grand nombre d'articles.

Selon Wang, il n'y a que deux types d'amateurs de montagnes : ceux qui font de l'escalade jusqu'à ce que la vieillesse vienne leur enlever leurs moyens ; et ceux qui meurent en montagne. L'alpinisme n'est pas un hobby, c'est un mode de vie. Parfois Wang est très occupé et ressent la pression de la vie, mais il sait qu'il y a la montagne qui l'attend, et cela lui permet de tout endurer.

L'orthographe rectifiée (1990) s'applique dans ce texte.

(Extrait modifié de Ces gens merveilleux du Xinjiang, Beijing, FLP, 2008.)

 

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