Il est assez courant que Wu Wenjun soit primé. Il y a 45 ans, il a obtenu le premier Prix national des sciences naturelles avec Hua Luogeng et Qian Xuesen. Depuis, il a sans cesse collectionné les grands prix. A propos de ce prix suprême, Wu Wenjun a dit: "Les scientifiques ne doivent pas travailler pour les prix mais être primés pour leur travail."

Wu Wenjun est connu pour travailler avec abnégation. Dans les années 70, il se rendait déjà compte de la puissance de l'ordinateur et considérait les mathématiques mécanisées, combinaison des mathématiques traditionnelles et de l'informatique, comme l'une des principales orientations du futur développement des mathématiques. Une nouvelle discipline a ainsi apparu dans le monde: la mécanisation des mathématiques, appelée "méthode de Wu". Tout comme la révolution industrielle avait instauré la mécanisation du travail manuel, la "méthode de Wu" a entraîné la mécanisation du travail intellectuel. Bradshaw, ex-président de l'Association américaine pour l'intelligence artificielle, a écrit aux dirigeants chinois: "Le travail de Monsieur Wu est unique. A lui seul, il a permis à la Chine de se classer au premier rang mondial dans ce domaine."

Wu Wenjun jouit d'une renommée internationale dans le domaine des mathématiques depuis longtemps. Ses succès obtenus en topologie, la "reine des mathématiques modernes", ont été considérés comme "le grand tremblement de terre de la topologie". La "formule Wu" a été inscrite dans les manuels de nombreux pays depuis un demi-siècle. Wu Wenjun a été largement honoré, pourtant il déclare: "La recherche d’un scientifique n'a ni limite ni fin." Selon lui, la création est la vie des sciences. En 1957, Wu Wenjun a été élu membre de l'Académie des Sciences de Chine. Alors âgé de 38 ans, il était le plus jeune académicien. Il ne voulait cependant pas s'arrêter là, comme un grand nombre de scientifiques européens et américains l’auraient fait. "Comment peut-on s’éclipser après avoir un succès? Tant que l’on est en vie, il faut innover!"

Wu Wenjun n'a pas peur de l'échec. "Il ne faut pas dormir sur ses lauriers," a-t-il dit. Il y a quelques années, il a publié les résultats de ses recherches sur un sujet d'importance mondiale, résultats qui ne se sont pas révélés justes. Wu Wenjun s’est exprimé à ce sujet dans les termes suivants: "Il ne faut pas avoir peur de l'échec. L'important est de transformer la défaite en victoire. Des leçons peuvent être tirées des défaites."

Wu Wenjun ne considère pas l’innovation comme le privilège des jeunes. Pourtant, il admet que "les jeunes constituent le corps principal de l’innovation". Depuis longtemps, il pousse les jeunes à l’avant de la scène des recherches scientifiques tandis que lui-même reste à l’arrière.

Wu Wenjun ne recherche ni la réputation ni la fortune. Sa femme a conservé tous les titres d'honneur qui lui ont été octroyés depuis un demi-siècle. Le 16 février, nous avons vu tous ces certificats de mérite. "Il ne les considère pas plus que des livres ordinaires," nous a dit Madame Wu. Pourtant, ce dernier prix est, pour Wu Wenjun, un peu différent. Il le considère comme le "Prix des succès de toute une vie". Quant à la somme d’argent offerte, il a déclaré qu’elle ne serait pas dépensée dans l'amélioration de ses conditions de vie.

Son logement est extrêmement rudimentaire: à part quelques meubles achetés au début des années 50 lors de son mariage, les quatre murs de chaque pièce sont couverts de bibiothèques. Wu Wenjun aurait pu loger dans l’un des appartements destinés aux académiciens mais il a renoncé, ne voulant pas modifier l'emplacement des livres.

D'habitude, Wu Wenjun porte un costume à la Sun Yat-sen et ne se montre pas difficile à table. Ses centres d’intérêt sont variés. En Australie, il s’est enroulé un serpent autour du cou; à Hongkong, il s’est amusé au Grand huit tout seul; en Thaïlande, il y a deux mois, il était sur la trompe d'un éléphant. Lorsque sa femme dit qu'il "sait apprécier la vie", Wu Wenjun réplique, sérieux: "La vitalité est la source de l’innovation."