’

Le 6 juin, le Wall Street Journal a annoncé que selon un plan de la Maison Blanche, les Etats-Unis évacueraient 9 500 des 34 500 soldats américains actuellement en Allemagne d’ici septembre 2020, dont certains seront transférés en Pologne et d’autres pays alliés, les autres rentrant aux Etats-Unis. Le 15 juin, le président américain Donald Trump a officiellement annoncé qu’il réduirait à 25 000 le nombre total de soldats américains stationnés en Allemagne, accusant l’Allemagne de ne pas contribuer au partage des dépenses militaires de l’OTAN. Sa décision reflète le froid dans les relations européennes et américaines, ainsi que l’ajustement de la stratégie de défense américaine dans l’OTAN.

L’annonce unilatérale du retrait américain a provoqué les foudres de l’Allemagne. Dans une interview accordée le 26 juin, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que bien qu’il existe des « raisons importantes » pour continuer à maintenir l’alliance de défense transatlantique, si les États-Unis abandonnent volontairement leur rôle de puissance mondiale, alors l’Allemagne doit « fondamentalement considérer l’avenir de la relation transatlantique. »

M. Trump a directement critiqué les deux principaux problèmes avec l’Allemagne : des dépenses militaires trop faibles et des relations avec la Russie trop étroites. Depuis son accession au pouvoir, M. Trump a dès le but exprimé son mécontentement face l’utilisation sans contrepartie par l’Europe de la protection sécuritaire de l’OTAN et a vivement encouragé les pays à payer pour cette protection militaire. Les Etats-Unis ont en particulier exprimé leur colère car les dépenses militaires de grands pays comme l’Allemagne n’atteignent pas 2 % de leur PIB. Concernant l’accusation de relations trop étroites entre l’Allemagne et la Russie, elle fait principalement référence à la coopération entre ces deux pays dans le projet de gazoduc Nord Stream-2. M. Trump estime que les Etats-Unis ont soutenu l’Allemagne militairement, mais l’Allemagne ayant investi massivement pour acquérir des ressources énergétiques russes, ils ont donc menacé de sanctionner l’Allemagne. Ce retrait fait évidemment pression sur l’Allemagne pour la soumettre.   

Le retrait de militaires américains d’Europe est une « contraction stratégique »  

L’armée américaine stationnée en Allemagne cimente les relations entre les deux alliés de l’OTAN, ainsi que les liens entre les Etats-Unis et ses alliés européens. Le retrait de militaires américains montre que les Etats-Unis mettent en œuvre une politique de contraction stratégique en Europe. Cela pousse davantage ses alliés européens à s’inquiéter de la fiabilité des engagements américains et ébranle les fondations communes de défense de l’OTAN, ce qui pourrait modifier l’ordre sécuritaire européen en place depuis la Seconde Guerre mondiale.

En ce qui concerne la série de remarques et d’actions de M. Trump sur les relations transatlantiques, Mme Merkel a clairement souligné que « nous, les Européens, devons prendre notre destin entre nos mains » et que « nous devons nous battre pour notre avenir ». Cette remarque implique que l’Europe ne fait plus confiance ou ne dépend plus des Etats-Unis.

La déclaration de Mme Merkel selon laquelle « le destin de l’Europe est entre ses mains » n’est pas une phrase en l’air. Elle a déclaré : « Je continue de m’engager pour veiller à ce que les 27 pays se tournent ensemble vers l’avenir ». Cela signifie évidemment que l’Allemagne continuera à jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la construction européenne. En réponse à la contraction stratégique des Etats-Unis à l’égard de l’Europe, le plan de construction d’une défense autonome européenne est vraiment à l’ordre du jour. En 2018, le président français Emmanuel Macron avait proposé la création d’une armée européenne. C’était la première fois que la France faisait clairement cette proposition après l’entrée en fonction de M. Trump, bien que la France ait toujours été le principal partisan d’une défense autonome européenne.

Au cours des dernières années, des plans de défense autonomes européens se sont succédé, mais peu de progrès ont été réalisés, car le « bailleur de fonds » américain était en fin de compte considéré comme fiable. Bien que le retrait de M. Trump ne soit qu’un ajustement, c’est néanmoins un signal d’alarme. L’Europe a reconnu l’urgence de renforcer sa défense. On peut s’attendre à ce que des progrès substantiels soient réalisés dans la construction d’une défense européenne autonome sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne.

La « progression sur le front » des troupes américaines va irriter la Russie

Après que M. Trump ait décidé de retirer une partie des troupes d’Allemagne, la Pologne a immédiatement exigé que les troupes américaines retirées soient transférées dans le pays. Pendant longtemps, la Pologne a considéré la Russie comme la principale menace pour sa sécurité, et l’armée américaine a été un « élément dissuasif important » contre la Russie, espérant utiliser les Etats-Unis et l’OTAN pour lui fournir des garanties de sécurité. Ces dernières années, la Pologne n’a cessé de renforcer sa coopération militaire avec les Etats-Unis et l’OTAN : elle a invité les Etats-Unis à déployer un système de défense antimissile en Pologne et activement organisé des exercices militaires conjoints avec les Etats-Unis et l’OTAN. Le président polonais Andrzej Duda s’est rendu récemment à Washington pour consulter M. Trump sur la question de l’envoi de troupes américaines en Pologne. Après ces discussions, M. Trump a déclaré aux journalistes de la Maison Blanche qu’il retirerait certaines troupes stationnées en Allemagne et les déploierait en Pologne. M. Duda a déclaré que la Pologne était prête à contribuer aux 2 milliards de dollars de coûts liés au stationnement de l’armée américaine dans son pays et a nommé la base militaire américaine « Fort Trump ».

Il est donc clair que les Etats-Unis ont décidé de retirer partiellement leurs troupes d’Allemagne, puis de transférer des troupes américaines en Pologne, ce qui constitue un ajustement majeur de la stratégie de défense de l’OTAN. Alors que les PECO ont rejoint l’OTAN et que l’Allemagne et les Etats-Unis ont de sérieuses divergences sur de nombreux points, l’avantage géographique de l’Allemagne n’existe plus et la position de l’Allemagne dans la stratégie européenne des Etats-Unis a diminué. Par conséquent, l’armée américaine fera des ajustements en faisant des mesures de « déploiement et transfert vers l’avant » une politique clé, et les PECO comme la Pologne et les pays baltes seront au cœur de ce déploiement militaire américain. La Pologne est située aux confins orientaux de l’OTAN, à proximité de la Russie, et la présence militaire américaine en Pologne est en fait un déploiement sur la « ligne de front » de l’OTAN.

Il est rapporté que la Pologne a également l’intention de « reprendre » les armes nucléaires américaines en Allemagne. L’ambassadrice des Etats-Unis en Pologne, Georgette Mosbacher, a déclaré sur les réseaux sociaux en mai 2020 : « Si l’Allemagne veut réduire les capacités nucléaires de l’OTAN et affaiblir l’OTAN, alors la Pologne, qui a toujours clairement rempli ses obligations, qui est consciente des risques et se trouve sur le flan oriental de l’OTAN, a le pouvoir de les déployer dans son propre pays. »

Les Etats-Unis ont déployé environ 20 bombes nucléaires B-61 en Allemagne. Le Bundestag avait examiné et débattu vigoureusement de la suppression de ces bombes nucléaires à deux reprises en 2010 et cette année. Le Pentagone envisage sérieusement le déploiement d’armes nucléaires en Pologne. Afin de prendre possession de ces bombes nucléaires, la Pologne a décidé au début de cette année d’acquérir pour 5 milliards d’euros un total de 35 chasseurs F-35A pouvant transporter de telles bombes. 

Que les Etats-Unis transfèrent des troupes en Pologne ou envisagent de transférer des bombes nucléaires en Pologne, leur objectif vise clairement la Russie, ce qui provoquera inévitablement une forte réaction. Un porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères a salué le retrait américain d’Allemagne, mais s’est montré réticent à l’idée de transférer des troupes américaines en Pologne. Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a déclaré que le déploiement d’armes nucléaires par les Etats-Unis en Europe a rendu une situation déjà compliquée encore plus compliquée.

De la « contraction stratégique » à la « progression sur le front », les ajustements stratégiques américains dans l’OTAN ont commencé à prendre forme. Bien que M. Trump ait remis en question les fonctions obsolètes de l’OTAN et accusé les alliés de l’OTAN de négligence, il a déclaré qu’il ne renoncerait pas à l’OTAN, mais la renforcerait. Cet ajustement stratégique des Etats-Unis semble être le résultat du froid au sein de l’alliance entre l’Europe et les Etats-Unis, mais ce n’est qu’une apparence. Son intention réelle est de prévenir et d’endiguer davantage les tentatives d’expansion russe en Europe. La Russie y répondra évidemment, ce qui ajoute encore plus d’incertitude au contexte géopolitique européen.

Par Shen Xiaoquan, chercheur au Centre de recherche des questions mondiales de l’Agence de presse Xinhua.