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M. Macron veut faire de la stratégie nucléaire française une pièce maîtresse en Europe

French.china.org.cn | Mis à jour le 19. 02. 2020 | Mots clés : stratégie nucléaire française

 

Le président français Emmanuel Macron a expliqué la stratégie française de dissuasion nucléaire à l’Ecole de guerre le 7 février. Il a proposé que les forces nucléaires françaises jouent un rôle central dans la stratégie de défense européenne. Après le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), la France est devenue la seule puissance nucléaire du bloc et essaye maintenant d’utiliser sa force nucléaire pour jouer un rôle de premier plan dans la stratégie de défense de l’UE. Il s'agit d'une manifestation importante de l'adaptation et du renforcement de la stratégie diplomatique d’indépendance de la France.

Il s'agit du premier exposé approfondi de M. Macron sur la stratégie de dissuasion nucléaire de la France dans la nouvelle situation depuis son accession à la présidence de la France en mai 2017. Le président Charles de Gaulle s’était en son temps prononcé fermement pour le développement des armes nucléaires en France afin d’assurer la souveraineté nationale et de maintenir le statut de grande puissance du pays sur la scène internationale. La France a commencé à développer des armes nucléaires au début des années 1960 et est devenue membre du « club des puissances nucléaires ». Le général de Gaulle adhérait au « principe de dissuasion nucléaire », à savoir le fait de mener une frappe nucélaire préventive contre un pays qui constituait une menace militaire pour le pays, ce qui était une stratégie de « défense nucléaire active ». Elle est différente de la stratégie d’« utilisation non active des armes nucléaires » par d'autres puissances nucléaires, car ces pays ne prévoient d’utiliser la force nucléaire pour contre-attaquer que si leur territoire subit lui-même une attaque nucléaire.  

La France n'a cessé d'ajuster son dispositif stratégique nucléaire depuis les années 1990. Depuis longtemps, la France a établi une force nucléaire stratégique air-sol, sol-sol et mer (sous-marin)-sol, formant une « triade nucléaire » avec des bombardiers stratégiques, des silos à missiles et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.  En 1996, le président Jacques Chirac avait modifié cette triade pour se concentrer sur les forces aériennes et océaniques stratégiques.  

En mars 2008, lors de la cérémonie de lancement du nouveau sous-marin nucléaire de missiles balistiques français « Le Terrible », le président Nicolas Sarkozy avait insisté sur le principe du maintien d’un arsenal nucléaire français « suffisamment raisonnable », c'est-à-dire au niveau le plus bas possible pour répondre aux besoins stratégiques nationaux. Il avait annoncé qu'il « réduirait le nombre d'ogives nucléaires françaises à la moitié du nombre le plus élevé pendant la guerre froide », sans dépasser la barre des 300. Faute de puissance nationale, il est difficile de soutenir le développement global des armes nucléaires. La France a donc adapté sa stratégie nucléaire et privilégié la qualité à la quantité grâce à ses atouts technologiques. Tout en développant des armes nucléaires stratégiques, la France a également accéléré le développement de missiles nucléaires de petite taille destinés à des cibles militaires sans faire davantage de victimes.

M. Macron a réitéré la stratégie de dissuasion nucléaire de la France dans son discours du 7 février. Il a déclaré que la France compte actuellement moins de 300 ogives nucléaires. Bien que cela ne soit pas très important, c’est néanmoins suffisant pour servir de force de dissuasion et jouer un rôle dissuasif contre « toute attaque du territoire nationale venant de l’extérieur ». M. Macron a révélé qu'au cours des cinq prochaines années, la France investira 37 milliards d'euros dans la modernisation de son arsenal nucléaire.

M. Macron a de nouveau indiqué que dans la situation actuelle, la stratégie française de dissuasion nucléaire n’est pas le fruit du hasard, mais résulte de nombreuses considérations et d’intentions.

Premièrement, il faut élaborer une stratégie nucléaire française après le Brexit. M. Macron a soulevé la question de la dissuasion nucléaire une semaine seulement après la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE le 31 janvier. Ce choix n'est évidemment pas arbitraire. Le Royaume-Uni et la France sont les deux seules puissances nucléaires d’Europe. Après le Brexit, la France est devenue le seul pays de l'UE à disposer d'armes nucléaires, faisant d’elles un appui important pour permettre à la France de renforcer son leadership au sein de l'UE. La puissance économique de l'Allemagne peut rivaliser avec la France, mais l'Allemagne est éclipsée par la France en raison de son absence de force nucléaire. La reformulation par M. Macron de la stratégie de dissuasion nucléaire en cette période sensible vise clairement à démontrer que la position de la France dans l'UE ne peut être ignorée et être remise en cause.

Deuxièmement, la France réagit activement aux risques d'une nouvelle course internationale aux armes nucléaires. En 2019, M. Trump est sorti du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire conclu avec la Russie, et la course aux armements a été ravivée. Fin 2019, le missile balistique intercontinental supersonique russe 3M22 Tsirkon a été installé avec succès. Pour y remédier, les Etats-Unis ont d'abord testé le missile balistique intercontinental de croisière à longue portée Tomahawk, puis testé à nouveau l’ICBM Minuteman-3. Le seul traité sur le contrôle des armements existant entre la Russie et les Etats-Unis, le Traité New Start de réduction des armes stratégiques, va expirer en 2021. Les Etats-Unis n'auraient pas l'intention de proroger ce traité, ce qui augmentera considérablement le risque global d’une nouvelle ère de course aux armements. M. Macron a averti que les Européens doivent reconnaître collectivement qu'en l'absence de normes juridiques, le risque d'une nouvelle course aux armements dans le domaine des armes conventionnelles et même des armes nucléaires dans le monde ne cesse d’augmenter. Il a déclaré que les Européens devaient « occuper une place » dans les négociations internationales sur le contrôle des armements et non « se limiter au rôle d’observateur ».  Certains commentaires ont souligné que, dans le sillage de la reprise de la course mondiale aux armements, la France tente d'utiliser sa force nucléaire pour devenir le chef de file de la défense européenne et promouvoir conjointement l’ « agenda international de la limitation des armements ». Cette dynamique a attiré l'attention de toute part.

Troisièmement, il faut profiter des avantages des armes nucléaires françaises pour promouvoir vigoureusement une défense européenne autonome. L'alliance de défense est un élément important de l'intégration européenne : dès 1993, la Brigade franco-allemande s’est élargie à la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et l'Espagne. En 2003, l’UE a constitué un Corps de réaction rapide européen (CRR-E) basé sur des groupes de combat de 1 500 hommes au titre de la force de réaction rapide. En 2016, l’UE a proposé le Plan d'action européen de défense et créé un Fonds européen de défense doté de 5 milliards d'euros annuellement. En 2017, les 25 États membres de l’UE ont signé un accord conjoint de « coopération structurelle permanente » dans le domaine de la défense et lancé 17 projets de coopération à ce titre. En 2018, l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas, l'Estonie, l'Espagne, le Portugal et la Finlande ont signé une lettre d'intention pour une Initiative européenne d'intervention, s’engageant à créer une force d'intervention militaire européenne. La même année, M. Macron a proposé un plan pour la formation d'une armée en Europe, insufflant une nouvelle fois un élan de vitalité à la défense européenne.

Cette fois-ci, M. Macron a essayé d'utiliser la force nucléaire pour promouvoir à nouveau la construction d’une défense européenne autonome. Il a déclaré que la sécurité européenne « dépend inévitablement de la capacité des Européens à agir de manière autonome ». En 1995, le président Chirac avait proposé une « européanisation » des armes nucléaires françaises, mais pour des raisons de souveraineté nationale notamment, cette proposition n'avait pas reçu d’écho dans les autres pays. M. Macron a évité cette fois-ci d'utiliser le terme de « partage » des armes nucléaires françaises ou de « parapluie » pour les alliés européens, mais a plus généralement proposé que les armes nucléaires françaises jouent un rôle central dans la stratégie de défense européenne. Certains commentateurs ont souligné que cela montre que la France tente d'utiliser sa force nucléaire pour se poser en chef de file de la future stratégie de défense autonome européenne.

En outre, M. Macron a pris un certain nombre de mesures importantes pour renforcer les forces armées après son entrée en fonction. En juillet de l’an passé, il a annoncé la décision de la France de créer un Commandement de l’espace. Il a déclaré que la France établirait une « stratégie de défense spatiale » car « l'espace est essentiel aux opérations militaires et est devenu un champ de bataille dans la compétition entre  grandes puissances ». Lors du défilé de la Fête nationale cette année-là, la France a présenté pour la première fois au monde une série de nouvelles technologies militaires, dont un robot multifonction à quatre roues capable de se repérer sans GPS et un drone Black Hornet équipé d'une caméra haute résolution. M. Macron a également assisté à Cherbourg à la cérémonie d’inauguration du premier sous-marin furtif nucléaire d’attaque du programme Barracuda. Le Suffren appartient à la deuxième génération de sous-marins nucléaires français. Il est prévu que la marine française soit équipée de six sous-marins nucléaires de deuxième génération et que le Suffren soit livré cette année. Les sous-marins nucléaires seront utilisés pour des missions militaires contre les navires de surface et les sous-marins, les opérations de débarquement et la gestion des crises. Ces mesures montrent que M. Macron ne ménage aucun effort pour restaurer le statut de puissance militaire de son pays.

Il est à prévoir qu'en tant que seule puissance nucléaire de l'UE et puissance militaire de premier plan, la France jouera un rôle moteur irremplaçable dans la construction de la défense autonome européenne. M. Macron a  ainsi disposé son échiquier de telle sorte qu’il pourra jouer une pièce maîtresse en Europe.


Par Shen Xiaoquan, chercheur au Centre de recherche des questions mondiales de l’Agence de presse Xinhua.    

 

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Source:french.china.org.cn