Et si Mme Le Pen l'emportait ?

Par : LIANG Chen |  Mots clés : Le Pen
French.china.org.cn | Mis à jour le 23-04-2017

J'ai récemment participé à un dialogue sur la présidentielle française avec Richard Artz, le correspondant de Paris Match en Chine, au Lycée français international de Beijing. Richard présentait le point de vue des Français, et moi celui des Chinois. « Comment les Chinois voient-ils la présidentielle française ? » me demandent souvent mes amis français.

Mon intervention au cours de la conférence a tourné autour de trois points principaux : premièrement, les Chinois n'ont jamais été aussi attentifs à une élection présidentielle française. Les médias chinois ont relaté comme jamais les déclarations de trois des candidats à la présidentielle 2017 : François Fillon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. J'ai été plusieurs fois invité par la TV Satellite oriental de Shanghai à des débats au sujet de cette élection. Écoutant les experts chinois analyser avec sérieux les soupçons d'emploi fictif qui pèsent sur M. Fillon, la campagne électorale « ni droite ni gauche » de M. Macron et la « France d'abord » et « l'anti-Europe » de Mme Le Pen, j'ai parfois eu l'impression de me trouver sur le plateau de C dans l'air ou de Mots croisés.

Mon premier reportage sur une présidentielle en France remonte à 1994, alors que j'étais correspondant permanent dans ce pays. La couverture de la politique française par les médias chinois était assez stéréotypée : un reportage avant le premier tour, un deuxième entre les deux tours, puis un troisième reportage après la publication des résultats. Aujourd'hui, je suis très supris par les torrents de citations que déversent inlassablement les médias chinois à ce sujet et l'incroyable niveau d'information qui est celui du public chinois. Même si on n'atteint pas le niveau de couverture de l'élection américaine, on peut dire qu'il s'agit d'une élection étrangère largement suivie par les Chinois.

Le deuxième point est que les médias chinois s'attendent à voir triompher un « cygne noir » français. Le « cygne noir » est une référence au livre Le cygne noir de l'écrivain américain d'origine libanaise Nassim Nicholas Taleb, publié en 2007, qui détaille la logique d'événements qui se sont produits contre toute attente. Les médias chinois ont qualifié Donald Trump de cygne noir, et certains Chinois s'attendent à voir le même phénomène se reproduire en France avec l'élection de Marine Le Pen. Mais mon point de vue n'a pas été bien compris par les élèves français. Après le débat, un professeur m'a expliqué qu'en France, on parle de « black swan » et non de « cygne noir » pour se référer à ce genre d'accident de l'histoire, tout comme on parle de « hot dog » et non de « chien chaud ». Mon zèle pour la défense de la pureté du français me perdra... Si les médias chinois estiment que Mme Le Pen est la favorite, ce n'est pas parce qu'ils approuvent ses points de vue, même si c'est le cas de certains, c'est parce que la plupart d'entre eux souhaitent voir Mme Le Pen créer la surprise en France. Le fait est que le public chinois s'attend à des événements surprenants lors de cette présidentielle française.

Le troisième point enfin est le suivant : si les électeurs français portaient effectivement à l'Élysée la présidente du Front national, quel serait le scénario ? Une puissance nucléaire de 60 millions d'habitants serait dirigée par une femme qui n'a jamais assumé de fonctions politiques d'envergure, ni géré une région, ni un chef-lieu départemental, ni aucun ministère, ni même occupé un poste gouvernemental. Il m'est difficile de l'imaginer. Un professeur du Lycée m'a rétorqué que le président Hollande n'avait, lui non plus, assumé aucun poste administratif avant son élection. C'est vrai ! Mais François Hollande était le chef du Parti socialiste qui est l'un des principaux du pays, un parti qui fut au pouvoir pendant 20 ans, aux époques de M. Mitterrand puis de M. Jospin, un parti qui a donc formé un grand nombre de cadres administratifs expérimentés. Le Front national, lui, ne compte aucun ancien ministre.

Alain Juppé a souligné : il est effectivement peu probable que Mme Le Pen gagne ces élections, mais on ne peut pas exclure cette éventualité. Les sondages d'opinion suggèrent qu'elle arriverait en tête au premier tour des élections présidentielles avec un score compris entre 24 et 26 %. Dans un article récent, je proposais la boutade suivante : « Donald Trump n'a pas souhaité, après son élection, rencontrer Mme Le Pen qui sollicitait une entrevue avec lui. Mais le président américain sera-t-il un jour obligé de recevoir Mme Le Pen en qualité d'homologue français ? »

Les médias chinois sont unanimes pour penser que le « phénomène Le Pen » en France n'est pas dû au hasard. Les causes en sont depuis de nombreuses années la récession économique, la hausse constante du chômage (on compte 6,5 millions de personnes sans emploi d'après les statistiques officielles), la stagnation du pouvoir d'achat et la baisse du niveau de vie, l'intensification des conflits entre différents groupes ethniques, l'aggravation des inégalités, les problèmes liés à l'immigration, la dette publique qui n'en finit pas de grimper... La gauche socialiste et la droite républicaine qui se succèdent au pouvoir depuis un demi-siècle demeurent impuissantes à résoudre ces problèmes, conduisant les électeurs français à se tourner vers les extrêmes et en particulier vers Mme Le Pen et son parti d'extrême droite. Un phénomène similaire à celui qui a poussé les électeurs blancs des couches moyenne et inférieure aux États-Unis vers le politicien « hors-système » que représentait Donald Trump. Plusieurs points communs existent entre ces deux personnages : leur absence d'expérience du pouvoir ; leur positionnement « hors-système » ; leur hostilité aux migrants, en particulier musulmans, et leur opposition à l'UE ; leur discours de priorité nationale, de protectionnisme, de dévaluation compétitive (Mme Le Pen veut sortir de l'euro). Les deux entendent retrouver de meilleures relations avec la Russie ; leurs électorats de base sont blancs, chrétiens des classes moyenne et inférieure, historiquement ancrés aussi bien à la gauche qu'à la droite de l'éventail politique... Mais les États-Unis sont la seule superpuissance. Quel sort attend la France si elle élit Mme Le Pen ?

J'observe que la France fait face à trois problèmes essentiels : faible croissance économique, dette publique excessive, défis liés à l'islam. Le premier problème provoque une crise sociale qui se manifeste directement par un taux de chômage élevé ; le deuxième est le produit d'une crise de gestion due au déficit budgétaire ; le troisième enfin s'apparente à une crise institutionnelle, qui découle du risque de disparition de l'identité culturelle française blanche et chrétienne. Les « 144 engagements » du Front national peuvent-ils fournir des solutions à ces trois problèmes ?

En Chine, pour s'imposer au niveau national, un dirigeant doit avoir derrière lui des mandats de dirigeant d'au moins deux provinces principales. Les Chinois considèrent que gouverner est une chose très difficile qui exige énormément de responsabilité, et que par conséquent les personnes choisies pour diriger doivent posséder une solide expérience. En Chine, le chef de l'État est élu au suffrage indirect. Les assemblées populaires pratiquent un système électoral à cinq échelons : canton, district, ville, province et État. 900 millions d'électeurs élisent deux millions de représentants au niveau du canton ; une partie de ces élus est choisie pour les représenter au niveau supérieur, et ainsi de suite jusqu'aux représentants à l'Assemblée populaire nationale (APN). Le président chinois est à son tour élu par les représentants à l'APN, et les candidats à la présidence sont déterminés conformément aux recommandations du Comité central du Parti communiste chinois. Il convient de souligner que le PCC, un parti qui compte 80 millions de membres, dirige un pays de 1,3 milliard de personnes, il est donc bien plus représentatif de la population que le Parti socialiste français, actuellement au pouvoir en France, avec ses 200 000 membres dans un pays de 60 millions de citoyens.

L'APN est l'organe suprême du pouvoir chinois, il assume les fonctions législatives et de contrôle du gouvernement, et c'est lui qui adopte le budget. En Chine, le régime politique fonctionne efficacement même s'il ne s'appuie pas sur le suffrage universel que l'on connaît en France. La croissance rapide de l'économie ces trente dernières années reflète bien cette efficacité. La société chinoise évolue vers plus d'équité et de justice, même si des problèmes de développement persistent. La nécessité de poursuivre ce développement fait l'unanimité en Chine.

Si un homme politique parvenait à créer en France les conditions d'un taux de croissance similaire à celui que connaît la Chine, et donc une amélioration du pouvoir d'achat similaire à celle que vit la population chinoise, il n'aurait aucune difficulté à être réélu. Par conséquent, au lieu d'affirmer que tel régime politique est bon ou mauvais, il faut se demander s'il est adapté à la situation du pays.

Il faut le reconnaître, jusqu'à présent, le régime démocratique est considéré comme le plus fort soft power des pays occidentaux. Bien que les Français soient par avance méfiants envers le président qu'ils éliront en avril, ils se consolent en se disant que chacun dispose d'une voix... L'histoire dira si cette voix mènera Mme Le Pen à l'Élysée et quels changements cette voix apportera à la France.

 

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