L'annulation du voyage de Vladimir Poutine à Paris signale une confrontation montante

Par : Vivienne |  Mots clés : Vladimir Poutine,François Hollande
French.china.org.cn | Mis à jour le 14-10-2016

Le président russe Vladimir Poutine a annoncé le 11 octobre sa décision d'annuler sa visite prévue le 19 octobre à Paris. Jusqu'ici, le président français François Hollande avait maintenu une relation relativement lisse avec son homologue russe, et après la crise survenue en Ukraine, la France est au cœur de la communication diplomatique de la Russie avec l'Occident. La décision d'annuler le voyage, dans un contexte d'intensification de la crise syrienne, montre que la Russie et l'Occident sont désormais dans une impasse diplomatique, et que les tensions s'élèvent à nouveau.

La visite du 19 octobre était au programme depuis longtemps, Vladimir Poutine devait participer à la cérémonie d'inauguration du centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris. Cependant, les divergences de plus en plus explicites entre les pays occidentaux et la Russie sur la question de la Syrie ont fait planer une ombre sur la visite. Le 8 octobre, la France et l'Espagne ont présenté au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution sur la Syrie qui a fait l'objet d'un veto russe. Le projet portait sur l'arrêt des bombardements à Alep, et sur la mise en place d'une zone de défense aérienne. Les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont ensuite rejeté un projet de résolution sur la cessation des hostilités, en particulier à Alep, avancé par la Russie. L'opposition sur cette question connaît aujourd'hui un niveau sans précédent.

Dans ce contexte, François Hollande a déclaré le 8 octobre au cours d'une interview qu'il mettait en doute la perspective de rencontrer Vladimir Poutine le 19. Il a déclaré qu'en cas de venue à Paris du président russe, les deux hommes discuteraient en priorité de la crise syrienne. Il a noté à cette occasion que le soutien de Moscou apporté au gouvernement syrien en bombardant des civils à Alep est inacceptable. « Les civils sont de plus en plus victimes de crimes de guerre », a souligné M. Hollande, et « ceux qui commettent des crimes de guerre devront en payer la responsabilité, y compris devant la Cour pénale internationale ».

Les propos très fermes de François Hollande ont certainement mis fin à la possibilité d'une visite de Vladimir Poutine. Ce dernier a d'ailleurs annoncé le 11 octobre qu'il annulait son voyage à Paris.

La France, grand canal diplomatique de la Russie

L'opinion publique internationale estime que la France sert de principal canal diplomatique entre la Russie et l'Occident. Vladimir Poutine a annulé pour la première fois une réunion prévue avec le président Hollande, ce qui aura avant tout un impact sur les relations bilatérales.

En 2014, après le déclenchement de la crise d'Ukraine, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux ont fait bloc contre Moscou en Crimée et ont déployé des mesures de sanctions sévères. Les deux côtés ont vécu la confrontation la plus grave depuis la fin de la guerre froide. Le 5 juin, la France a organisé des commémorations du 70e anniversaire du Débarquement en Normandie, auxquelles François Hollande a reçu Vladimir Poutine avec tous les honneurs, pour la première visite en Europe occidentale du président russe trois mois après la forte détérioration des relations. Sous l'impulsion de François Hollande, Vladimir Poutine n'a pas seulement été reçu comme invité d'honneur à l'Elysée, il s'est également entretenu directement à cette occasion avec le premier ministre britannique David Cameron, la chancelière allemande Angela Merkel, le président américain Barack Obama, et même avec le candidat élu à la présidence en Ukraine, Petro Porochenko. La France a mis en place la scène, la Russie a joué le jeu, et Vladimir Poutine a profité de la situation pour sortir son pays de l'isolement diplomatique. Cette réunion multilatérale « informelle » a servi de prélude aux accords de Minsk sur la question ukrainienne. Pour la Russie, la France est devenue l'un des rares canaux diplomatiques encore ouverts en Occident.

Mais ensuite, les relations franco-russes ont été mises à rude épreuve. En 2010, la France a décidé de vendre la Russie quatre navires d'assaut amphibie Mistral, dont deux construits en France. Ces navires de guerre et dotés de fonctions amphibie et de commandement à distance sont l'équivalent de porte-hélicoptères. L'accord était le premier portant que la vente de cette technologie haut de gamme à la Russie par un membre de l'OTAN. Suite aux sanctions lourdes décidées par les Etats-Unis à l'encontre de la Russie lors de la crise ukrainienne, la France s'est retrouvée en situation délicate en raison du calendrier de livraison de deux Mistral à la Russie. Elle a finalement cédé à la pression américaine en annulant le contrat. Cela a créé des tensions entre la Russie et la France, mais la dispute a été de courte durée. En août 2015, les deux pays sont parvenus à un accord sur la levée du contrat Mistral. Une situation née d'un différend politique épineux a finalement été réglée sous forme de litige commercial, ce qui montre que les deux pays ont préféré adopter une attitude rationnelle et pragmatique pour ne pas entraver leurs relations bilatérales.

La résolution du problème des Mistral a été le résultat de la sauvegarde des intérêts stratégiques de chacun. La France n'était pas partisane de la ligne dure des Etats-Unis envers la Russie, qui pouvait mener à une nouvelle guerre froide. En tant que pays d'Europe occidentale bien moins lointain géographiquement de la Russie que le sont les Etats-Unis, la France était soucieuse d'assurer la sécurité et la stabilité du continent. La réticence de la France à adopter des sanctions fermes affaiblissait la portée des sanctions, et le pays est resté un canal de communication permettant à la Russie de sortir de l'isolement. Dans ce contexte de « nouvelle guerre froide », la France et la Russie ont été capables de maintenir une relation relativement lisse.

En annulant son voyage à Paris, Vladimir Poutine n'a pas fermé la porte à la possibilité d'une prochaine rencontre. Il a dit qu'il pourrait rencontrer François Hollande « quand le président français se sentira prêt ». Ce dernier a répondu être prêt « à tout moment » à rencontrer le président Poutine pour « faire cesser les bombardements et proclamer la trêve ».

Une confrontation accrue avec l'Occident

Dans la situation actuelle, les relations entre la Russie et la France sont momentanément tendues, mais elles pourront se réchauffer. Cependant, la confrontation entre la Russie et les Etats-Unis sur la Syrie sera difficile à apaiser, et elle pourrait bien empirer.

Les Etats-Unis et la Russie se querellent non seulement au Conseil de sécurité des Nations Unies, ils montrent aussi leurs muscles dans les eaux proches de la Syrie. Selon les médias, la Russie a déployé des troupes au sol et dans l'espace aérien en Syrie, ainsi que des patrouilles dans la Méditerranée, au moins six navires de guerre et 34 navires de protection.

Le porte-avions Amiral Kouznetsov sera également envoyé le long des côtes syriennes. Le puissant porte-avions américain Eisenhower navigue déjà dans les eaux du golfe Persique, et au début de l'année prochaine, le porte-avions George H. W. Bush lui succèdera. En outre, le porte-avions français Charles de Gaulle participe également à la campagne de bombardements contre l'organisation de l'Etat islamique. Les grandes puissances font ainsi étalage de leur force en Méditerranée orientale, ce qui comprend évidemment le risque d'exacerber une nouvelle guerre froide entre la Russie et l'Occident.

L'annulation du voyage de Vladimir Poutine à Paris s'explique avant tout dans l'épaisse fumée qui surplombe le champ de bataille syrien et dans les nuages qui s'accumulent au-dessus de la Méditerranée.

 

(Traduction d'un article en chinois rédigé par Shen Xiaoquan, maître de recherche au Centre de recherche sur les problématiques mondiales de l'agence de presse Xinhua.)

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