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La civilisation chinoise entre admiration et préjugés

French.china.org.cn | Mis à jour le 09. 01. 2020 | Mots clés : Nobel,Mo Yan
Le 24 mai 2016, Mo Yan (2e à g.), lauréat chinois du prix Nobel de littérature, et l’écrivain français Le Clézio (2e à d.), prix Nobel de littérature, participent à un séminaire académique à Hangzhou à l’occasion du 120e anniversaire de l’université du Zhejiang et discutent autour de la littérature et de l’éducation.

Il est possible que je ne sois pas tout à fait objectif à propos de la Chine, parce qu’il y a plus de 20 ans que je suis tombé amoureux de la Chine, de par sa culture et sa littérature.

À propos des relations entre la culture française et la culture chinoise, je voudrais présenter deux points de vue.

Le premier, parmi toutes les différences qui affectent ces deux cultures, celle qui me paraît la plus importante, c’est que la culture chinoise est essentiellement et fondamentalement nationale. Dans la culture chinoise, tout est chinois, même ce qui a été importé. Prenons par exemple le bouddhisme, il vient de l’Inde, mais en réalité le bouddhisme Chan est complètement sinisé, il est devenu une religion complètement chinoise. Au contraire, la culture française, comme les autres cultures européennes, est complètement multinationale. D’abord, la culture française prend ses origines dans l’héritage grec et romain, et en plus dans le christianisme. Donc, la culture française ne se comprend pas et ne se conçoit pas sans des apports extérieurs. Il est impossible de comprendre la littérature française, si on ne lit pas Dante et Shakespeare (et un peu plus tard Dostoïevski et de Tolstoï). On ne peut pas comprendre et apprécier la musique française si on n’écoute pas Bach, Mozart, Beethoven, Stravinsky ou Prokofiev...

La deuxième, en ce qui concerne les rapports entre la culture française et la culture chinoise, ces rapports sont, à mon sens, très inégaux. Je connais beaucoup de Chinois qui connaissent bien la culture française, pas seulement des spécialistes de la France, mais aussi des Chinois cultivés qui ont lu la littérature française. En France, en dehors du tout petit cercle des sinologues, des spécialistes de la Chine, personne n’y connaît rien. Je donne deux exemples : quand le prix Nobel a été décerné à Mo Yan en 2012, toute la presse française a publié des articles, comme il est normal chaque année, autour du prix Nobel de littérature ; mais dans aucun de ces articles, je n’ai vu un journaliste ou un commentateur s’interroger sur le sens du pseudonyme de Mo Yan, car Mo Yan est un nom de plume, qui signifie « sans parole ». Pour un homme qui avait reçu le prix Nobel et qui avait écrit 80 romans et nouvelles, personne n’en a rien dit. Un autre exemple : lorsque je reviens de mes vacances estivales, je suis avec des amis qui sont des Français cultivés, des hauts fonctionnaires, des journalistes, des hommes politiques, si je leur dis, tiens, cet été j’ai relu quelques romans de La Comédie humaine de Balzac ou quelques pièces historiques de Shakespeare, tout de suite, la conversation peut s’engager. Pourquoi ? Parce qu’ils ont tous lu en totalité ou en partie La Comédie humaine de Balzac, ou qu’ils ont tous vu au théâtre ou lu quelques pièces historiques de Shakespeare. Mais si je leur dis, tiens, cet été, j’ai lu Shui Hu Zhuan ou Hong Lou Meng, et même si je leur dis en français : Au bord de l’eau ou Le Rêve dans le Pavillon rouge, il n’y a pas de conversation possible. Pourquoi ? Parce qu’aucun d’entre eux n’a lu ces deux romans et qu’ils n’en connaissent même pas l’existence.

Alors évidemment il faut s’interroger sur les raisons de cette mise à l’écart pour ne pas dire de ce rejet de la culture chinoise par la grande masse des Français, y compris des Français cultivés. Je suis très curieux parce que pendant des siècles, les Français comme les autres Européens étaient admiratifs vis-à-vis de la Chine du XVIe au XIXe siècle. On a évoqué déjà les philosophes des Lumières qui aimaient la Chine. Et les choses ont changé au milieu du XIXe siècle, en deux étapes. D’une part, à cause des guerres de l’Opium, de la colonisation, de la semi-colonisation, des concessions, les Européens ont inventé des préjugés racistes contre les Chinois. Et puis la deuxième étape, ça a été l’arrivée du Parti communiste chinois au pouvoir en 1949. Je fais référence à un bon écrivain, Lin Yutang, qui a été chrétien pendant sa jeunesse. Mais il avait écrit en 1935 un petit livre remarquable en anglais, My Country and My People. Dans lequel il envisage – à l’époque ce n’était pas facile à faire – la victoire du communisme en Chine. Et il dit : « Finalement ce ne serait pas si grave. » Ah bon ? Pourquoi ? Pas si grave parce que les Chinois assimileront le communisme, ils feront un communisme à leur manière, c’est devenu le socialisme à la chinoise, et c’est très intéressant de voir qu’un auteur comme Lin Yutang qui était très intelligent ait fait cette prédiction sur le communisme en Chine, bien loin de tout ce qu’on entend dire chaque jour sur « l’épouvantable dictature communiste qui règne en Chine » dans les médias français.

Chaque fois qu’on y parle de la Chine, c’est toujours négatif : les canapés fabriqués en Chine et importés vont s’écrouler pour qu’on se casse le dos, les jouets fabriqués en Chine, très nombreux, sont couverts de peinture au plomb pour nuire aux enfants… Ce sont toujours des préjugés.

Et ce qui rend possible ce déferlement de propos hostiles et erronés, c’est quand même la grande ignorance dans laquelle les Français se trouvent vis-à-vis de la Chine, ce qui n’a pas toujours été le cas des Français jusqu’au XIXe siècle. Mais ensuite, pour justifier la colonisation et pour attaquer le régime de la Chine nouvelle, que n’a-t-on pas dit et que ne continue-t-on pas de dire, contre la Chine ?

L’ignorance vis-à-vis de la Chine va changer, et le changement est entre les mains des nouvelles générations. Moi quand j’étais jeune, j’étudiais le latin et le grec classique, j’ai deux petits enfants qui n’ont jamais étudié un mot de latin ni de grec classique, mais ils étudient tous les deux le chinois et ils sont allés plusieurs fois en Chine. Je pense que les nouvelles générations apprenant la langue, allant voir le pays, petit à petit, oublieront les préjugés issus de la période coloniale et de la période anti-communiste fanatique.

PHILIPPE BARRET est écrivain et sinologue français.

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Source:La Chine au Présent