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Zhang Yueran dans la jungle de l’écriture

French.china.org.cn | Mis à jour le 15. 05. 2018 | Mots clés : Zhang Yueran

Zhang Yueran (2e à droite) participe à la Semaine littéraire de Shanghai.

Figure incontournable de la scène littéraire chinoise contemporaine, Zhang Yueran fait partie de ces écrivains qui ont grandi au milieu des livres et qui ont très tôt côtoyé les grands classiques de la littérature mondiale. Son dernier roman, Cocoon, paraîtra prochainement en France aux éditions Zulma. Le 11 janvier 2018, dans le cadre du cycle de conférences Fu Lei organisées par l’Institut français de Beijing, elle s’est prêtée au jeu des confessions littéraires. Au cours d’un échange avec Zhang Shiyang, éditrice chez Imaginis, puis avec le public, elle a évoqué son attachement à la France et à la littérature française.

Couverture du roman Cocoon de Zhang Yueran

La douceur de lire

Zhang Yueran est originaire de la province du Shandong. Elle a suivi un parcours pour le moins atypique qui l’a menée de Singapour, où elle a étudié l’informatique, à Beijing, où elle a complété un doctorat en littérature chinoise classique à l’université de Renmin. Écrivaine précoce, elle a gagné en 2001 le premier prix du concours littéraire New Concept. Refusant alors de se laisser entraîner vers une course à l’écriture dans laquelle elle aurait eu le sentiment de perdre son identité et de se retrouver coincée dans un uniforme qui ne lui correspondrait pas, elle a préféré se consacrer à l’élaboration d’une plate-forme d’échanges ouverts et constructifs sur la littérature et travaille depuis 2008 comme rédactrice en chef pour la revue littéraire Newriting. Exigente et déterminée, Zhang Yueran, qui s’est choisi Flaubert comme modèle, nourrit le rêve « de se rapprocher des écrivains les plus grands, ne serait-ce que d’un petit millimètre ». Depuis toute petite, elle a développé un véritable attachement pour la littérature française dont elle possède une connaissance approfondie qui laisse admiratif.

Zhang Yueran

Enfant, c’est à travers les récits de l’un de ses oncles qui a vécu en France et au Sénégal qu’elle a construit ses premiers imaginaires sur la France et la culture francophone. Elle admet avoir été très marquée par cette figure familiale qui est à l’origine de ce « premier lien direct » avec la France et grâce auquel elle a développé une curiosité pour la culture et la langue françaises. Lectrice assidue depuis toute petite, Zhang Yueran s’est plongée très tôt dans les grands classiques de la littérature étrangère et elle a découvert la littérature française avec Les Misérables de Victor Hugo. Elle raconte : « Les Misérables, ça a laissé une trace en moi et puis c’était un âge qui était tout à fait adapté pour lire ce genre de roman, j’étais vraiment happée par les histoires de ce roman et très touchée par les personnages ». Elle évoque son enfance avec une grande nostalgie car à cette période de sa vie, elle était encore ce qu’elle appelle « une pure lectrice ». Elle confie :« J’étais juste attirée, passionnée par la littérature. J’ai beaucoup d’attachement par rapport à cette époque-là, beaucoup de nostalgie. J’étais alors une lectrice pure et le plaisir, il était désintéressé, il était très fort car je pouvais me permettre de me plonger totalement dans le monde que m’offraient ces livres. » Et elle ajoute : « C’était donc une époque de grand plaisir mais, entre guillemets, avec un regret, je dirais que j’ai commencé à écrire trop tôt. » En effet, à partir du moment où l’on devient soi-même écrivain, la lecture perd de sa naïveté, on devient plus attentif aux techniques d’écriture et l’on se laisse moins porter par l’histoire et les personnages.

La vie idéale sans travail, un livre édité principalement par Zhang Yueran

Sartre, Camus, Proust, Duras, les écrivains français qui inspirent Zhang Yueran sont nombreux. Elle affirme qu’ils nous enseignent beaucoup de choses à travers leurs œuvres et confie : « Je me sens bien dans cette trajectoire. » Parmi ces auteurs, Flaubert est celui qui revient le plus souvent dans les propos de la jeune femme. Elle semble nourrir pour cette grande figure de la littérature française un profond respect et le considère comme un modèle d’exigence et de précision. Selon elle, les écrivains contemporains devraient s’inspirer de « l’esprit de Flaubert », de sa minutie, sa précision, son observation, son exigence. « La Chine a besoin d’une figure comme Flaubert. » Si les premiers écrits de Zhang Yueran étaient plus libres, portés par sa passion et une certaine liberté d’expression, la jeune femme estime s’être imposé plus de rigueur par la suite, portée par un désir profond de se rapprocher des écrivains les plus grands.

Littérature du moi

Pour l’écrivaine chinoise, la particularité de la littérature française tient en partie dans le fait que c’est une littérature qui accorde une place très importante à l’individu, à la psychologie du moi. Mais cela ne doit pas être confondu avec du narcissisme car Zhang Yueran explique : « Paradoxalement, les écrivains français, plus que les écrivains d’autres pays font attention à ce qui se passe dans le monde extérieur à l’individu. Ils s’intéressent au Moyen-Orient, à la Chine, au Japon, à l’Afrique, ils puisent leurs sujets dans le monde entier, on voit leurs soucis pour tout ce qui se passe dans différents pays et aussi leurs soucis pour l’Histoire, ils ne cessent de vouloir travailler sur l’Histoire et donc c’est beaucoup de richesse et d’ouverture. »

Rien d’étonnant donc, que Zhang Yueran reconnaisse se sentir bien dans la trajectoire de ces auteurs, elle pour qui la place accordée à l’individu est essentielle dans une œuvre littéraire et qui affirme : « l’Histoire ne sera jamais ce qui est mis en avant par un romancier et le romancier met toujours l’accent sur les êtres humains, les personnages. » Ce qui n’empêche pas Zhang Yueran, à l’instar des écrivains français dont elle admire l’ouverture d’esprit, de s’intéresser aussi à l’Histoire. Si l’individu est au cœur de son œuvre, il n’est cependant pas question de renoncer à évoquer l’Histoire mais plutôt de comprendre « comment les personnages sont influencés ou modelés par les événements historiques ». Elle raconte : « Je me suis beaucoup interrogée sur les relations entre la réalité et l’Histoire, comment exploiter les événements historiques pour ensuite les intégrer à mon écriture, je pense que c’est la question que se pose souvent un écrivain, surtout quand il a envie de s’exprimer, de s’interroger sur l’Histoire. » Bien sûr, Mme Bovary de Gustave Flaubert est un roman qui aborde de grandes problématiques sociales de son temps. Mais il le fait à travers le destin particulier du personnage d’Emma et sans cette héroïne, le roman perdrait son sens car c’est elle qui insuffle un dynamisme à l’œuvre.

Il est donc très important pour un écrivain de trouver un juste équilibre entre Histoire et individu mais également de laisser aux personnages une certaine liberté, une certaine spontanéïté, de ne pas leur coller des étiquettes, ce qui serait, selon Zhang Yueran, une forme de paresse. Certes, la jeune femme admet qu’un écrivain « n’est jamais libre de son contexte » mais elle poursuit : « si l’on réduit l’histoire d’un personnage à l’histoire de tout un groupe social, c’est à mon avis un total échec ! »

Au-delà des frontières

La littérature est fondamentalement liée au contexte social dans lequel elle apparaît, ce qui pour Zhang Yueran, est évidemment un facteur de différence. Dans son roman Chanson douce, pour lequel elle a obtenu le prestigieux prix Goncourt, l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani aborde la question des inégalités sociales. Or, selon Zhang Yueran, un écrivain chinois aurait traité le sujet d’une tout autre façon car d’un pays à l’autre, les problématiques sont différentes, les facteurs qui entrent en jeu peuvent varier, et cela influence forcément les choix d’un auteur. Pour Zhang Yueran, les écrivains chinois sont plutôt attachés à des formes de narration continues. Or dans son roman, Leïla Slimani a choisi de créer des espaces vides entre les différents chapitres, la narration est elliptique, ce qui crée un rythme atypique. Pour Zhang Yueran, il ne fait pas de doute qu’un écrivain chinois aurait choisi une narration plus linéaire, laissant plus de place au supense alors que Leïla Slimani a volontairement décidé de faire disparaître une partie du suspense dès le début de son roman. Pourtant, si ce choix de narration est susceptible de dérouter le lecteur chinois, Zhang Yueran considère que le roman de Leïla Slimani reste très abordable pour le public chinois, contrairement à de nombreux écrivains français dont l’écriture est très complexe et parfois difficile à comprendre pour un lecteur étranger.

La jeune femme porte un regard sévère sur ses contemporaines. Elle regrette : « Nous sommes très narcissiques, tout le temps portées par le chagrin féminin, nous ne sommes pas assez fortes, pas assez sévères, nous manquons de rigueur et il faudrait que nous puissions sortir de notre narcissisme. » Un narcissisme dont la littérature française n’est, toujours selon l’écrivaine, pas complètement dépourvue puisqu’elle le retrouve chez Marguerite Duras, une auteure qu’elle a particulièrement appréciée dans sa jeunesse mais qui, avec le recul lui apparaît « noyée dans ses histoires ».

On voit bien ici combien il est difficile de comparer la littérature française et la littérature chinoise car les différences et les similitudes ne sont pas aussi marquées qu’on voudrait le croire. Quoi qu’il en soit, il est certain que les lecteurs français réservent à la littérature chinoise un accueil au moins aussi favorable que celui réservé par les lecteurs chinois à la littérature française, et ce parce que la littérature, comme toute forme d’art, transcende les frontières et s’adresse directement à l’humain. Ainsi, de grands écrivains chinois comme Mao Dun, Lao She, Shen Congwen ou encore Guo Moruo, ont depuis longtemps leur place dans les librairies et les bibliothèques françaises. La diffusion de la littérature chinoise en France a été encouragée par d’importantes maisons d’édition françaises comme Gallimard et Actes Sud alors que les adaptations cinématographiques de romans chinois tels que Le Sorgho rouge ou encore La Lanterne rouge ont donné une impulsion à la diffusion de la littérature chinoise à travers le monde. Par ailleurs, depuis quelques années, le gouvernement chinois apporte des fonds pour soutenir l’internationalisation de la littérature chinoise. En 2012, Mo Yan est devenu le premier écrivain chinois à recevoir le prix Nobel de littérature alors qu’en 2016, Cao Wenxuan a reçu le prix Hans Christian Andersen qui récompense des livres pour la jeunesse. Il semblerait que la littérature chinoise a bel et bien pris son envol.

Quel que soit le pays ou le contexte dans lequel ils ont grandi, les écrivains de par le monde partagent probablement le souhait de trouver un public réceptif. Concernant la prochaine sortie dans les librairies françaises de son dernier roman Cocoon, Zhang Yueran déclare : « Je suis vraiment très heureuse de constater que désormais des lecteurs français pourront lire mon ouvrage ; être lue, c’est un grand plaisir, un grand bonheur pour un écrivain, que ce soit par des lecteurs chinois ou étrangers. » La jeune écrivaine reconnaît avoir eu la chance de rencontrer une traductrice passionnée par son récit, qui a pu porter le projet en France et convaincre une très bonne maison d’édition de publier son roman. Mais cette réussite, elle la doit surtout à son travail rigoureux et à sa détermination farouche. Pour reprendre la métaphore de la jeune femme, le roman est une jungle dans laquelle il n’y a pas de sentier tout tracé, « vous êtes face à des paysages pittoresques, il y a beaucoup de sentiers, et c’est à vous de faire vos propres choix ». Et si Zhang Yueran a trouvé son chemin, c’est aussi parce qu’elle a eu le courage de se perdre dans la jungle.

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Source:La Chine au Présent