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Méthode et lecture : Réflexions sur Confucius et la philosophie chinoise (II)

French.china.org.cn | Mis à jour le 13. 11. 2017 | Mots clés : Confucius


Une grande cérémonie en hommage à Confucius a lieu à Suzhou dans la province du Jiangsu avec la participation de 29 étudiants de l'université de Soochow. 

 

WOLFGANG KUBIN*

 

L'auteur explore maintenant la satisfaction spirituelle et la joie que provoque la répétition des gestes, non sans lien avec la pensée européenne.

 

Les Entretiens de Confucius débutent par un dicton en trois parties qui est entré depuis longtemps dans le langage courant. Concentrons-nous pour l'instant sur sa première partie :

 

« Le maître dit : “Celui qui étudie pour appliquer au bon moment n'y trouve-t-il pas de la satisfaction ? ” »

 

Dans le texte chinois original, ce dicton comprend trois verbes importants : apprendre, pratiquer et ressentir de la joie. La question est de savoir quels liens internes unissent ces trois verbes entre eux. Sont-ils énumérés au hasard, ou bien au contraire, comme j'en suis pour ma part convaincu, sont-ils liés ensemble par des relations de dépendance les uns par rapport aux autres ?

Des enfants habillés en costume traditionnel récitent Les Entretiens de Confucius à Liaocheng, dans la province du Shandong.

 

Ma conviction est qu'on ne peut répondre à cette question qu'en effectuant un détour par l'Europe, et ainsi découvrir que ces verbes n'ont pas été choisis arbitrairement par l'auteur mais bien faits pour construire ensemble une explication des conditions de l'existence humaine, que ce soit dans le passé ou au présent.

 

Dans le chinois antique « apprendre » signifiait à l'origine « imiter », comme par exemple lorsqu'on répète les mots du professeur. C'est pourquoi la lecture à haute voix, guidée par un professeur, reste jusqu'à nos jours un exercice important, largement pratiqué en Chine. Un peu partout en Chine, vous trouverez des groupes de personnes qui se rassemblent pour lire et mémoriser des vers à haute voix. De cette façon, l'apprentissage produit une communion avec le professeur qui se prolonge en une communion entre étudiants.

 

Ici, on pourrait facilement insérer les théories de Martin Buber (1878-1965) ou celles de Hans Georg Gadamer (1900-2002), qui affirment que le processus de développement de la personnalité est étroitement lié à l'existence d'un interlocuteur. C'est dans la voix de ce vis-à-vis que chacun pourra se reconnaître lui-même.

 

Cet interlocuteur peut être une divinité, un enseignant, un parent ou un partenaire d'étude. D'une façon ou d'une autre, le bonheur ne peut être trouvé que dans la compagnie d'autres personnes. C'est pourquoi Confucius attachait autant d'importance au fait d'être un humain en compagnie d'autres humains.

 

J'ai déjà rédigé un certain nombre d'articles sur ces thèmes que je traitais par un « détour européen ». On peut faire la même chose avec des concepts comme l'harmonie ou l'admiration, mais cela nous éloignerait du thème qui est le nôtre aujourd'hui. Je voudrais effectuer un autre détour par l'Europe pour expliquer plus en profondeur la pensée chinoise. Il s'agit ici de la relation qui se dessine entre l'exercice et la joie, une relation que nous ne parvenons pas toujours à appréhender dans toutes ses dimensions.

 

Exercice et joie

 

Même si l'exercice (qui vient du latin exercitium, en allemand Übung) a perdu une grande partie de ses adeptes avec le triomphe de la modernité qui s'est imposé dans le monde occidental, il reste à l'origine d'une longue histoire qui prend ses racines dans les temps anciens et englobe le Moyen-Âge, les temps modernes et l'époque contemporaine, que ce soit en Chine ou en Occident.

 

Les nuances du terme diffèrent selon la langue dans laquelle il est employé, latin, allemand, anglais ou français, et nous devons nous concentrer plutôt sur son aspect philosophique et théologique que sur son côté étymologique.

 

Dans la Grèce antique, l'exercice était considéré comme une manière d'acquérir les talents des dieux. La culture grecque ne considérait pas les vertus comme des attributs essentiellement humains. Ce n'est qu'au travers de la pratique de certaines aptitudes que la sagesse pouvait devenir pour l'humain une seconde nature.

 

Cette origine religieuse du terme « exercice » se retrouve au Moyen-Âge et dans les temps modernes. En grec, l'exercice culturel prenait le sens d'ascétisme (άσκησις), et dans le contexte de l'imitatio Christi c'est-à-dire l'imitation du divin, l'exercice offrait la possibilité, grâce à l'ab exercitatio spiritualia d'accéder à Dieu (in Deum adscendere). L'exercice permet donc de s'élever et, dans un sens théologique, d'approcher de la vérité. Cela signifie que l'exercice est la condition requise d'une vie épanouie.

 

C'est également là l'idée de base d'Otto Friedrich Bollnow (1903-1991), qui dans son herméneutique philosophique a consacré un livre entier au sujet de l'exercice. Si nous prenons son exemple dans un texte sur l'interprétation de Confucius, c'est en raison de son cheminement intellectuel mais aussi physique qui l'a conduit au Japon et en Corée.

 

« L'exercice en tant qu'habitude quotidienne », ainsi qu'il a pu en faire l'expérience dans son parcours, ne diffère en rien des sortes d'exercices proposées par le confucianisme, mais aussi par le taoïsme et le bouddhisme.

 

Il nous suffit de nous remémorer la parabole du mont Niushan, de Mencius (372-289 av. J.-C.). L'héritier spirituel de Confucius y parle de la nécessité de nourrir quotidiennement le souffle de l'esprit afin de préserver la vis vitalis, condition de base de la vertu humaine (Mencius, VI. A8).

 

Rappelons-nous aussi l'exemple du cuisinier Ding. Le philosophe taoïste Zhuangzi (369-286 av. J.-C.) raconte à son sujet qu'il avait tellement exercé ses talents de maniement du couteau qu'il était capable de détailler un bœuf en morceaux d'un seul mouvement (le Livre du maître Zhuang III. 2).

 

Le bouddhisme nous enseigne la métaphore célèbre selon laquelle il faut balayer le sol jusqu'à accéder à la vérité, ce que le confucianisme coréen met en pratique dans ce qu'il appelle la « petite doctrine » destinée aux jeunes adeptes.

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Source:La Chine au Présent