JONATHAN BROWNING
Description d'une activité séculaire qui fournit du travail à des milliers d'artisans; l'article laisse cependant pointer une interrogation sur le rajustement que cette activité devra effectuer pour assurer sa survie dans un monde qui cherche de plus en plus à préserver les forêts.
Je travaille depuis trois ans comme photographe pigiste à Shanghai, et pendant ces années-là, j'ai pu découvrir peu à peu la culture chinoise et ses traditions. Plus tôt cette année, j'ai eu l'occasion d'échapper au tohu-bohu de cette grande métropole et de me rendre plus au sud, dans la province subtropicale du Fujian. J'ai séjourné à Fuzhou, la capitale, une ville de 6 millions d'habitants; pour la Chine, c'est une ville de grandeur moyenne.
Deux statues en bois et des outils recouverts de sciure sur une table à jouer aux échecs
Une particularité locale
J'avais entendu dire que la région était célèbre pour sa sculpture sur bois, en particulier pour ses statues de Bouddha et de Guanyin. Elle l'est également pour les énormes tables en bois massif, très ornées, que l'on utilise pour le service du thé et qu'il est possible de voir dans les boutiques et les salons de thé haut de gamme. Je me suis aventuré dans la banlieue de Fuzhou, et j'ai très vite trouvé des ateliers de sculpture sur bois; dans une zone en particulier, on en trouve de grandeurs différentes. La gamme va des petits ateliers familiaux indépendants où une pièce de la maison familiale a été convertie en atelier et où le père travaille une sculpture à la fois, jusqu'aux ateliers moins modestes. Ces derniers reçoivent chaque semaine de grosses livraisons de matière première : des troncs et des racines d'arbres. C'est dans le plus gros de ces ateliers que j'ai pris mes photos.
Les installations de cet atelier comprennent une grande cour extérieure où le bois livré est entreposé jusqu'à ce qu'il soit prêt à être rentré pour qu'on commence le travail de sculpture. La majeure partie des travaux sont effectués à l'intérieur d'un entrepôt à étage. Le rez-de-chaussée est rempli de figurines et autres sculptures non finies, et au premier coup d'œil, les œuvres semblent classées dans un ordre aléatoire; en fait, après avoir parlé aux ouvriers (un effectif total d'environ 50 personnes), j'ai appris qu'elles sont classées par catégories : de la forme initiale effectuée à la tronçonneuse, jusqu'à l'étape du raffinement de la sculpture et au ponçage des produits finis. À l'étage, c'est la salle d'exposition où les clients peuvent examiner les œuvres et commander celles qu'ils veulent.
Un artisanat séculaire
C'est sous la dynastie des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911) que les artisans du Fujian ont bien développé leur maîtrise de la sculpture des statues de Bouddha et de Guanyin. Leurs œuvres célèbres sont taillées surtout dans le longanier (Euphoria longan, un arbre à feuilles persistantes), mais aussi dans le litchi et le camphrier. Les sculpteurs utilisent aussi les racines naturellement tortueuses et les nœuds caractéristiques du longanier pour les transformer en sculptures étonnamment complexes, allant d'oiseaux et de serpents jusqu'aux bêtes mythiques.
Les productions de cet atelier se retrouveront partout en Chine et à l'étranger, soit chez des collectionneurs privés ou des distributeurs, soit dans des temples bouddhiques ou de grands salons de thé. Le prix de ces œuvres peut aller jusqu'à des dizaines de milliers de yuans. Sachant que le salaire mensuel moyen dans cette région est d'environ 1 000 yuans, il suffit pour un sculpteur de vendre chaque année une ou deux œuvres pour être assuré d'avoir à manger toute l'année. Les sculpteurs chevronnés de cet atelier ont un revenu supérieur à 10 000 yuans par mois, un montant très élevé hors des grandes métropoles comme Shanghai et Beijing. La plupart des sculpteurs ont commencé comme apprenti et ont maîtrisé leur métier au fil du temps. La majorité d'entre eux vivent près de leur lieu de travail; d'ailleurs, la plupart du temps, ils sont nés dans la région et y ont été élevés.
En dépit de la nature créative de ce travail, ce grand atelier ressemble passablement à une chaîne de production en usine, avec des ouvriers travaillant de 8 h à 17 h, sauf pendant une courte pause à midi. Pendant les heures de travail, tous sont très concentrés sur la pièce sur laquelle ils travaillent et semblent vraiment apprécier ce qu'ils font. Pendant la pause, les sculpteurs les plus qualifiés montent dans la salle d'exposition pour déguster un thé vert et feuilleter des magazines de sculpture sur bois présentant les dernières réalisations des artisans d'un peu partout en Chine.
Rien de tel n'existe dans mon pays d'origine, l'Angleterre. Je me demande cependant combien de temps ce métier ancien pourra se perpétuer, alors que le monde concentre de plus en plus son attention sur la protection de l'environnement et la conservation des forêts. Bien que cette industrie soit spécialisée, elle est toujours importante au Fujian et y fournit de l'emploi à des milliers de travailleurs. J'espère qu'elle pourra continuer pendant longtemps, mais d'une façon responsable et écologique.
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