SYLVAIN GHARBI
Qui mieux que l'architecte Jacques Ferrier, qui a dirigé de main de maître la conception et la construction du pavillon, peut nous présenter le message qui y est transmis? Découverte du pavillon dans toute sa « sensualité ».
Début 2008. Beijing s'apprête à célébrer son repositionnement sur la carte mondiale. Elle va accueillir les Jeux olympiques pour une consécration unanime, l'effervescence en Chine est à son comble. Au même moment, à Paris, un comité du gouvernement français sélectionne quatre propositions de pavillons pour l'Expo universelle Shanghai 2010, à partir de 47 projets d'architectes de différents pays. Le 17 mars 2008, ce comité annonce qu'il a retenu le projet du cabinet Ferrier Architectures. C'est à son dirigeant, Jacques Ferrier, un ancien diplômé de l'École centrale des arts et manufactures de Paris (devenu professeur d'université) que le comité confie alors la charge de représenter la France. Réalisé sous sa direction et celle d'IRB (Intégral Ruedi Baur), de concert avec l'agence TER et George Sexton Associates, le pavillon de la France portera leur signature. Le 14 novembre 2008, la mise en chantier du pavillon commence. Sa construction et son aménagement coûteront 50 millions d'euros (environ 500 millions de yuans) et mettront en exergue le calibre de ses ingénieurs et l'excellence du génie civil français.
Une thématique attendue face à des enjeux de taille
L'Expo se décline sous un thème unique : « Meilleure vie, meilleure ville », une question cruciale pour cette mégapole mastodonte de 20 millions d'habitants qu'est Shanghai. Son enjeu environnemental et humain demeure de taille et sa densité de population exceptionnellement élevée, d'où l'importance d'y bien construire, un élément que souligne Jacques Ferrier : « L'architecture et l'urbanisme se trouvent de ce fait au premier plan [….], tout en ajoutant que l'industrie du bâtiment dans son ensemble (y compris construction et maintenance des bâtiments) représente un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il est donc vraiment important que l'architecture se dirige vers la construction durable. »
Par le biais du pavillon de la France, Jacques Ferrier a donc souhaité signaler l'importance du rapport que les habitants d'une ville entretiennent avec leur environnement immédiat. Au cœur des préoccupations des urbanistes, le thème de l'Expo souligne qu'experts et politiques prennent progressivement conscience de ce rapport. Une ville confortable est essentielle à sa population. Jacques Ferrier indique qu'il s'agit : « … aussi d'innover pour répondre à des défis sociaux d'une nature nouvelle. La ville fonctionnelle entraîne dans sa croissance démesurée des risques sérieux d'explosion sociale. Pour nous (architectes) qui sommes responsables de penser cette ville, ce constat nous conduit à l'exploration de territoires hybrides, à la rénovation radicale des habitudes de conception. »
Vocation et message du pavillon
Avec son thème, le pavillon de la France s'aligne sur cette tendance visant à créer une ville dorénavant voulue « sensuelle ». Ses caractéristiques architecturales reposent sur la nécessité d'une réponse que les municipalités du monde souhaitent apporter à leurs communautés afin que ces dernières retrouvent leur place dans un univers donnant parfois des signes troublants d'hostilité. « Dans l'architecture du pavillon, c'est la nature… On ne peut plus se contenter comme au XIXe siècle d'avoir des parcs telles les buttes Chaumont ou Central Park à Manhattan », nous indique Jacques Ferrier en ajoutant qu'il est « nécessaire de disséminer la nature dans la ville et que les bâtiments ont aussi pour responsabilité d'offrir des fragments de paysage et de nature pour les passants, mais aussi pour les gens qui utilisent ces bâtiments. »
De cette manière, des inquiétudes légitimes sont apaisées et des solutions humaines sont trouvées pour un développement durable et équilibré. Cela explique que la pérennisation du pavillon de la France soit inscrite dans son cahier des charges, un vœu que le président Sarkozy a formulé auprès des autorités chinoises. Jacques Ferrier insiste également sur le fait suivant : « Dans un avenir proche, il est fort probable que les questions purement techniques – carburants, chauffage, énergies renouvelables, etc. – soient réglées par la technique elle-même. Reste à savoir comment seront vécus la ville et les bâtiments de demain. C'est la qualité du monde dans lequel on veut vivre qui est en jeu, et non sa survie. »
Pour des villes habitables
« Soixante-dix pour cent de la population mondiale résident dans des villes. Ces villes, ce ne sont plus Barcelone, Paris ou Vienne. Ces villes, ce sont maintenant des villes en Chine. Bien que nous n'en connaissions pas nécessairement le nom, elles gagnent chaque année 100 000, 200 000 voire 500 000 habitants. La question d'une “ville sensuelle” veut ainsi donner des outils pour infléchir ces mondes qui sont produits à une cadence infernale », indique Jacques Ferrier. En effet, la présence et l'accessibilité à l'eau, poursuit-il, sont de nos jours fondamentales : « Dans ces villes qui font 10 ou 12 millions d'habitants, l'eau est devenue un sujet critique. Pour l'alimentation, pour l'hygiène et pour le plaisir. » Dans cette optique, les concepteurs du pavillon de la France ont fait reposer sa structure sur un miroir d'eau, un bassin entourant entièrement l'édifice. Son jardin à la française, orné de motifs contemporains, est un projet écologique remarquable. Cette fresque-jardin naturelle est longue de 250 m, émaillée de diverses installations multisensorielles et animée par une ambiance sonore unique. Une notion sur laquelle Jacques Ferrier met l'accent, vu que ce pavillon est « … une illustration de la possibilité de construire un urbanisme qui soit un paysage complet, et une expérience sensorielle globale », un pavillon dont l'armature est inédite. « La création d'une résille structurelle qui l'enserre le met en suspension, ce qui fait qu'à l'intérieur, on n'a pas besoin de murs, mais seulement de colonnes. On a un espace de type loft, c'est à dire extrêmement flexible. »
La visite du pavillon proposant une expérience multisensorielle à son visiteur peut être parachevée par un passage au restaurant 6Sens et une dégustation de sa cuisine haut de gamme, une invitation au voyage du goût, du raffinement et de la qualité culinaire.
Jacques Ferrier conclut : « Ce projet reflète ma conviction que la situation actuelle […] est aussi l'opportunité […] de fonder un rapport inédit entre projet et technique et de révéler les nouveaux usages de la ville à venir. » |