Le retrait de l'autorité parentale pour maltraitance : une première en Chine

Par : Lisa |  Mots clés : l'autorité parentale
French.china.org.cn | Mis à jour le 06-03-2015

Récit d'un récent procès qui met en lumière l'évolution de la justice et des mœurs sociales en Chine.

 

WANG XIAOQING*

En Chine, il est rare que les pouvoirs publics ou la justice puissent intervenir dans les affaires dites d'ordre familial, comme les cas de violences commises par les parents envers leurs propres enfants. Toutefois, le 4 juillet 2014, la Cour populaire du district de Xianyou à Putian, dans la province du Fujian, a décidé, pour la première fois dans le pays, de retirer à Mme Lin la garde de son fils, Xiaolong. Ce verdict inédit a concrétisé les dispositions sur le « Retrait de l'autorité parentale » dans les Principes généraux du Code civil, établis en 1987.

Des lésions causées par sa mère

Sur une photo montrée aux journalistes, j'ai vu Xiaolong, un enfant de 9 ans, couvert de blessures. J'ai été très choquée en entendant Huang Guocheng, instructeur adjoint du commissariat de police dans le bourg de Bangtou, relevant du district de Xianyou, dire que ces marques étaient le résultat d'une longue série de mauvais traitements infligés par la mère.

Tout petit déjà, Xiaolong se faisait rouer de coups par sa mère. Les villageois en ont été témoins. D'ailleurs, beaucoup ont tenté de raisonner Mme Lin, mais en vain selon Lin Guorong, secrétaire de la cellule du Parti dans le village de Wudian. « Les autorités locales n'osaient intervenir, car dans les campagnes chinoises, taper son enfant pour lui donner une leçon est encore monnaie courante. D'aucuns estimaient qu'il n'était pas justifié de se mêler de cette affaire, puisque après tout, il s'agissait d'une relation mère-fils. » L'opinion du secrétaire de la cellule du Parti était conforme à l'avis général de ses compatriotes. « Les parents tapent leurs enfants pour les éduquer : c'est pour le bien de ces derniers » : tel est le point de vue communément partagé dans les régions rurales chinoises.

En mai 2013, un étudiant local, de retour chez lui depuis l'université, a découvert ce qui se passait et a publié des clichés de Xiaolong couvert de plaies sur son microblog. Il a exprimé en commentaire sa compassion envers la victime et sa colère envers l'agresseur, espérant que les médias prêteraient attention au sort de cet enfant. Suite à quoi, le Meizhou Daily a réalisé un reportage, qui a suscité de vives réactions au sein de la société et avivé la considération du gouvernement municipal de Putian. Le Comité municipal de la Ligue de la jeunesse communiste, la Fédération des femmes ainsi que la police ont envoyé une équipe conjointe mener l'enquête dans le village de Wudian.

J'y ai rencontré Mme Lin, la mère de Xiaolong. Elle n'a cessé d'affirmer que son enfant méritait ces punitions car celui-ci était « trop désobéissant et saccageur ». Toutefois, Zheng Jianhang, secrétaire du Comité de la Ligue de la jeunesse communiste au bourg de Bangtou, a considéré ces propos comme une excuse, car bien qu'elle ne fût pas souvent chez elle et fît rarement la cuisine, elle enfermait régulièrement son fils à clé dans la maison.

Quand Mme Lin a accouché de Xiaolong, personne ne savait qui était le père. Elle logeait avec son enfant dans une maison en adobe délabrée, où s'entassaient des ordures. Elle ne prenait guère soin de son bébé, au point d'omettre de lui préparer ses repas parfois. Les voisins avaient pitié de l'enfant et lui donnaient quelques en-cas. Huang Guocheng a ajouté que Mme Lin n'avait même pas inscrit son fils sur le registre de l'état civil et qu'il avait dû prendre l'initiative de le faire.

Faire la morale : une peine perdue

Zheng Jianhang a précisé que tout le monde dans le village voulait élever le sens moral de Mme Lin, tout en l'aidant à améliorer ses conditions d'existence. Peut-être qu'elle traiterait mieux son enfant si elle bénéficiait d'une vie meilleure. Alors, le gouvernement local a versé doublement des allocations de subsistance à ce foyer. Le Centre de services aux jeunes et adolescents, subordonné au Comité municipal de la Ligue de la jeunesse communiste, a collecté en plus 10 000 yuans pour eux. Par ailleurs, le secrétaire Zheng rendait fréquemment visite à Xiaolong.

Le village de Wudian est réputé pour ses objets d'art en bois fabriqués à la main. Le Comité municipal de la Ligue de la jeunesse communiste a pensé présenter Mme Lin à un atelier, pour que cette mère puisse gagner de l'argent et s'occuper de son enfant. Mais prétextant sa santé fragile, elle a décliné l'offre. Chaque jour, elle s'absentait longuement, veillant à peine sur son petit. Peu de temps après, les voisins ont témoigné qu'à nouveau, elle battait l'enfant. La Fédération locale des femmes lui a demandé de signer un engagement pour promettre de ne pas réitérer ces violences. Cependant, le 29 mai 2014, un voisin a rapporté à la police qu'elle avait gravement frappé Xiaolong. J'ai vu une photo qui montrait l'état de Xiaolong suite à cette cruelle molestation. Cette fois-ci, conformément à la loi, la police a placé la mère en rétention administrative pendant quinze jours.

Alors, Xiaolong a été confié à une maison de refuge. Mais à la fin de la détention de sa mère, devrait-t-il retourner vivre avec elle ? Subirait-il d'autres coups encore plus brutaux ? L'administration du district de Xianyou a convoqué les services concernés pour étudier la question. Les assistants sociaux étaient tous d'avis que Xiaolong ne devait pas rester aux côtés de sa mère. « Nous ne croyons pas que sa mère soit à même de changer de comportement, a affirmé Zheng Songqing, le secrétaire du Comité de la Ligue de la jeunesse communiste dans la ville de Putian. Si les choses demeurent en l'état, ce jeune risque de souffrir de lésions encore plus sévères. »

Afin de respecter la volonté de l'enfant, ils ont consulté Xiaolong, lequel a explicitement déclaré qu'il ne voulait plus vivre avec sa mère.

Déroulement du procès

Au cours de la réunion évoquée ci-dessus, l'avocate Xu Rujin du Centre de services aux jeunes et adolescents a suggéré l'idée de retirer à la mère la garde de Xiaolong par voie de justice.

Bien qu'elle fût la première à avancer cette proposition, au fond d'elle-même, elle se sentait fort embarrassée, parce que les Chinois sont très attachés à la notion de famille. Ainsi, séparer une mère et son fils en sollicitant une intervention extérieure n'était pas une mince affaire. « J'étais perplexe, parce que dans notre pays dominé par les traditions, la plupart des gens considèrent que ce genre d'histoire relève du domaine familial, moi y compris. Cependant, ma pensée rationnelle de juriste me dictait d'agir. Si un jour cet enfant était mort des suites de coups, je m'en serais voulu toute ma vie. »

La tâche a été ponctuée de difficultés. Le premier obstacle auquel a dû faire face la juge chargée de l'affaire, Chen Jianhong, concernait les dispositions relatives au retrait de la garde. L'article 18 des Principes généraux du Code civil dispose que « si un tuteur/une tutrice ne remplit pas ses obligations ou porte atteinte aux droits et intérêts légitimes de la personne dont elle a la charge, la Cour populaire est habilitée à lui retirer son autorité parentale sur demande de la personne physique ou morale concernée. » Toutefois, ce principe reste très général : il n'est stipulé aucune règle précise, ni même aucune clause qui permettrait éventuellement la récupération de la garde. Cela signifie que la décision des juges est irrévocable ; ceux-ci doivent donc assumer pleinement leur verdict. La juge Chen Jianhong a avoué qu'elle ressentait alors une très forte pression. Néanmoins, elle n'a pas reculé, se remémorant notamment le cas des deux fillettes mortes de faim à Nanjing en juin 2013. Le père de ces deux fillettes avait été coffré après avoir commis un crime, tandis que leur mère, une toxicomane, ne s'occupait pas d'elles, malgré les 800 yuans de subvention qu'elle recevait chaque mois. Les deux enfants avaient fini par mourir de faim. Ce fait divers avait choqué le pays et déclenché un grand débat sur la révocation de l'autorité parentale. Chen Jianhong a déclaré que les départements concernés à Nanjing avaient apporté de l'aide à ces enfants, mais n'avaient pas été jusqu'à demander le retrait de la garde, de sorte qu'une tragédie était survenue.

Xiaolong a fêté son 10e anniversaire dans la maison de refuge. Mais il était urgent de lui trouver un nouveau tuteur. Son oncle, qui s'était déjà brouillé avec sa sœur en raison des méthodes d'éducation barbares de celle-ci, ne voulait pas garder Xiaolong, de peur que Mme Lin débarque chez lui et vienne troubler sa vie de famille. Pour ce qui était de l'organisme de protection sociale local, il hébergeait majoritairement des personnes âgées et des enfants handicapés : ce n'était pas un lieu adéquat pour Xiaolong. La juge Chen Jianhong a admis qu'elle ne pouvait statuer en faveur du retrait de la garde tant que Xiaolong n'était pas bien installé.

Pour entamer la procédure, il fallait un plaignant. Qui pourrait porter plainte ? L'article 18 des Principes généraux du Code civil énonce : « La personne physique ou morale concernée peut entamer la poursuite judiciaire. » L'administration municipale a convoqué les services compétents, qui ont conclu que le comité des villageois pourrait déposer la plainte et prendre Xiaolong sous tutelle. Une proposition qui juridiquement tenait la route. Le comité des villageois était d'accord pour se charger de la plainte ; néanmoins, il ne se sentait pas capable de devenir le gardien de Xiaolong. Finalement, SOS Village d'enfants à Putian a consenti à accueillir Xiaolong. Cette ONG humanitaire internationale s'est implantée en Chine dès 1984 et a créé, en coopération avec le ministère chinois des Affaires civiles, 10 villages d'enfants, dont un à Putian. Ces villages sont composés d'un certain nombre de maisons individuelles, où vivent plusieurs orphelins avec une employée qui fait office de « mère ». La journée, les enfants vont à l'école ; le soir, ils rentrent à « la maison », comme dans une famille ordinaire. Cette méthode d'éducation pour les orphelins a déjà fait ses preuves à l'échelle internationale.

Le 3 juillet 2014, le verdict est tombé : la Cour populaire du district de Xianyou s'est prononcée, pour la première fois en Chine, en faveur du retrait de l'autorité parentale de la mère. Le comité des villageois est devenu le nouveau tuteur légal de Xiaolong, mais l'enfant a été confié à SOS Village d'enfants.

L'après-jugement

Quand je suis arrivée au SOS Village d'enfants de Putian, Xiaolong y résidait depuis déjà six mois. J'imaginais qu'il y menait une vie heureuse. Mais en fait, de nouveaux problèmes avaient fait surface.

Zeng Suqiong, la directrice du SOS Village d'enfants de Putian, a confié que c'était la première fois qu'ils acceptaient un enfant comme Xiaolong. Après son arrivée, ils avaient découvert qu'il souffrait de nombreux problèmes psychologiques, se révélant dans divers aspects de sa vie. « Il ne sait pas communiquer avec les autres membres de son foyer. Lorsqu'il n'est pas satisfait d'une chose, il se met à mordre, à frapper et à donner des coups de pied, ce qui perturbe les autres enfants. » Mme Zeng a ajouté que Xiaolong ne comprenait rien à ses leçons et peinait sérieusement à l'école. Le secrétaire de la cellule du Parti du village ainsi que des instituteurs locaux ont confirmé sa propension à la violence. Mme Zeng a déclaré : « Le sort de ces enfants battus devrait être découvert plus promptement, le plus tôt étant le mieux. Avant d'intégrer notre village, Xiaolong avait été maltraité pendant dix années ! Cette situation a causé chez lui de bien graves lésions. »

« Les relations parents-enfants ne sont pas seulement caractérisées par des liens de sang, mais aussi par des liens juridiques. Les parents ont le devoir de prendre en charge leurs enfants. Ils ne peuvent les considérer comme une propriété privée dont ils seraient libres de disposer comme ils l'entendent », a commenté la juge Chen Jianhong. Elle a ajouté que dans 32 pays, la loi interdit explicitement les punitions corporelles au sein des familles. Par ailleurs, de nombreux États placent au même rang que la violence physique mauvais traitements ou négligence parentale. Pour prévenir ces formes de maltraitance, un cadre juridique a été formulé dans ces nations, tandis que les citoyens sont désormais sommés de dénoncer ces formes de brutalité. Selon Mme Chen, au vu des réalités sociales actuelles du pays, il ne sera pas facile d'obtenir un tel résultat en Chine dans de brefs délais. Il est pourtant nécessaire d'orienter les idées de la société par le biais de l'amélioration du système juridique.

Ceux qui ont pris part au règlement de l'affaire de Xiaolong se sont réjouis de voir que la décision de justice avait attiré l'attention générale et obtenu l'assentiment de l'opinion publique. La Cour populaire suprême en a fait un précédent directeur pour tout le pays. Le 22 décembre 2014, la Cour populaire suprême, le Parquet populaire suprême, le ministère de la Sécurité publique et le ministère des Affaires civiles ont formulé un avis relatif au règlement juridique des cas de violation aux droits et intérêts légitimes de personnes mineures par leurs tuteurs. Ils ont également précisé comment devaient être réglées les questions liées au retrait de la garde, comme les circonstances nécessitant l'intervention de la police, la partie à même de porter plainte, le transfert de la tutelle... Tout en définissant clairement la responsabilité des services concernés, ils ont souligné la nécessité qui incombe aux écoles, comités des villageois, comités des quartiers et services sociaux, ainsi qu'à leur personnel, de prévenir sans tarder la police en cas de maltraitance sur mineurs. Ces dispositions visent à faire évoluer l'opinion publique et à obliger les départements des affaires civiles à prendre en charge les enfants se retrouvant dépourvus de tuteur.

Les départements des affaires civiles ont établi 105 zones pilotes de protection des mineurs, qui s'appuient principalement sur l'aide des comités des quartiers, des unités résidentielles et des comités des villageois. Les organisations de base sont tenues de rapporter en temps opportun les cas de violation aux droits et intérêts des mineurs dans les familles à problèmes, de sorte que les forces spéciales puissent intervenir à point nommé. D'ici quelques années, cette expérimentation sera étendue à l'ensemble du pays. Zhang Shifeng, directeur de la Division des affaires sociales au ministère des Affaires civiles, a déclaré : « L'importance de ce travail réside dans la prévention. Ainsi pourrons-nous empêcher que certains problèmes s'aggravent au point de devoir recourir au retrait de la garde des parents. »

Hu Weixin, directeur adjoint du Bureau des études de la Cour populaire suprême, a fait remarquer que l'affaire de Xiaolong, en attirant le regard de toute la société, avait poussé les organismes judiciaires chinois à réfléchir.

*WANG XIAOQING est journaliste à la CCTV (Télévision centrale de Chine). Cet article est tiré de l'émission Nouvelles et enquête, diffusée le 24 janvier dernier sur CCTV-13.

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Source: La Chine au Présent
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