Le président chinois Hu Jintao a accordé le 2 novembre 2011 une interview écrite au quotidien français Le Figaro à la veille du sommet du G20 à Cannes en France, dans laquelle il a répondu aux questions sur les relations Chine-France, les relations Chine-UE, le sommet du G20, ainsi que la situation économique et financière mondiale…
Le Figaro : En novembre dernier, vous avez effectué une visite d'Etat en France. Depuis, vous avez rencontré, à deux reprises, le président français. Il y aura une troisième rencontre de l'année à l'occasion du sommet du G20 à Cannes. De nouveau en France un an après, comment voyez-vous les relations sino-françaises et la coopération des deux pays dans le cadre du G20 ?
Hu Jintao : Je viens cette fois-ci à Cannes pour participer au sommet du G20 et discuter avec les dirigeants des autres membres du G20 des moyens de promouvoir une croissance forte, durable et équilibrée de l'économie mondiale. J'aurai également le plaisir de rencontrer de nouveau le président Nicolas Sarkozy.
Lors de ma visite d'Etat réussie en France, en novembre dernier, le président Sarkozy et moi avons décidé de bâtir un partenariat global stratégique sino-français de type nouveau, mature, stable, basé sur la confiance mutuelle et le bénéfice réciproque, et tourné vers le monde. En mars, puis en août 2011, nous nous sommes entretenus deux fois à Pékin et nous avons procédé à des échanges de vues approfondis sur les relations bilatérales, la situation économique mondiale, le G20 et les grands sujets d'actualité, ce qui a permis de raffermir la confiance mutuelle entre nos deux pays. Ces dernières années, suivant les orientations données par les dirigeants des deux pays, les relations sino-françaises ont connu un développement stable, marqué par de fréquents échanges de haut niveau, une coopération économique et commerciale très dynamique, des échanges culturels et humains intensifiés et des concertations et coordinations étroites sur les grands dossiers internationaux et régionaux.
Aujourd'hui, dans une situation internationale toujours en mutation profonde et complexe, il s'avère nécessaire que la Chine et la France, deux grands pays très influents dans le monde, renforcent leurs concertations et coopérations pour relever ensemble les défis planétaires et contribuer activement à la promotion de la paix, de la stabilité et de la prospérité dans le monde. La Chine entend œuvrer de concert avec la France pour renforcer davantage leurs échanges et leur dialogue à tous les niveaux et dans tous les domaines, approfondir leur coopération pragmatique traditionnelle en matière électronucléaire et aéronautique, explorer de nouvelles pistes de coopération dans le domaine du développement durable, renforcer leurs échanges culturels et humains, assurer le succès des «années croisées linguistiques», élargir l'échange d'étudiants et enfin maintenir la dynamique de développement des relations sino-françaises.
La Chine, très attachée aux concertations et coopérations avec la France dans le cadre du G20, soutient les efforts français pour un sommet réussi et entend travailler ensemble avec la présidence française pour que ce rendez-vous à Cannes donne des résultats positifs et concrets et que l'économie mondiale retrouve rapidement une croissance forte.
Que pensez-vous de la situation économique et financière internationale actuelle ? Quelles sont vos attentes du sommet de Cannes ?
Aujourd'hui, ce que l'on constate, c'est un ralentissement de la reprise mondiale, un accroissement net des facteurs d'instabilité et d'incertitude, une croissance en baisse des principales économies, un surendettement de certains pays développés, des turbulences sur les marchés financiers internationaux et une montée du protectionnisme du commerce et de l'investissement de toutes sortes. Les membres du G20 doivent renforcer leur coopération et œuvrer à une croissance forte, durable et équilibrée de l'économie mondiale. Le sommet de Cannes doit se concentrer sur cet objectif et agir notamment dans les trois domaines suivants :
— premièrement, poursuivre l'esprit de solidarité et de coopération gagnant-gagnant. Les membres du G20 doivent continuer à coopérer main dans la main, renforcer la coordination des politiques macroéconomiques, émettre un message clair de solidarité face aux défis majeurs de l'économie mondiale, consolider la reprise chèrement acquise et restaurer la confiance du marché ;
— deuxièmement, se concentrer sur les grands enjeux économiques et financiers urgents du monde. Le sommet de Cannes doit non seulement traiter adéquatement les questions comme la dette souveraine ainsi que la flambée et la volatilité des prix des matières premières, mais aussi donner une impulsion à la réforme du système monétaire et financier international, combattre le protectionnisme du commerce et de l'investissement et faire avancer les négociations multilatérales pour la libéralisation du commerce ;
— troisièmement, continuer à se pencher sur le problème des inégalités de développement Nord-Sud. Il faut apprécier objectivement et correctement la contribution des pays émergents et des pays en développement à la reprise et à la croissance de l'économie mondiale, tenir compte de leurs préoccupations raisonnables, accroître leur représentation et leur voix au chapitre dans la gouvernance économique mondiale et créer un environnement extérieur favorable à leur développement durable.
En septembre 2009, les dirigeants des pays du G20 ont décidé, lors du sommet de Pittsburgh, de créer un «cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée». Quel est l'avis de la Chine concernant la croissance équilibrée ? Quelles sont les mesures prises par elle pour aider au rééquilibrage de l'économie mondiale ?
La communauté internationale doit voir objectivement les rapports entre la croissance forte, la croissance durable et la croissance équilibrée. La croissance durable est un objectif à long terme, la réalisation d'une croissance équilibrée par la restructuration est une exigence objective, tandis que la croissance forte représente une tâche prioritaire pour l'économie mondiale à l'heure actuelle, de même qu'un préalable pour réaliser une croissance équilibrée et durable. Pour le G20, il y a urgence à préserver la croissance et à rechercher l'équilibre dans la croissance.
La communauté internationale doit avoir une juste appréciation de la nature des déséquilibres économiques mondiaux, qui sont une manifestation extérieure des problèmes de fond de l'économie et de la finance mondiales, et non une cause. Ces déséquilibres, d'ordre structurel, comprennent le déséquilibre de la structure de l'économie mondiale, celui de la division internationale du travail et celui du système monétaire international. La solution du problème réside dans la restructuration économique qui devra être entreprise par tous les pays. Ce sera un processus long, on ne pourra pas y arriver du jour au lendemain.
Lors des précédents sommets du G20, les dirigeants de la Chine et d'autres pays ont tous souligné que le plus grand déséquilibre économique dans le monde d'aujourd'hui était celui du développement entre le Nord et le Sud, et que résoudre le déséquilibre avait pour but de promouvoir un développement commun. Ce n'est qu'en aidant les pays en développement à accélérer leur développement et à réaliser la croissance et la prospérité qu'on pourra asseoir la reprise sur une base solide, élargir la demande globale mondiale et assurer une croissance durable dans le monde. C'est là aussi une raison majeure qui explique le ferme soutien de la Chine à ce que le G20 porte une grande attention à la question du développement dans le monde.
Depuis l'éclatement de la crise financière internationale, la Chine a appliqué une politique énergique de relance de la demande domestique et enregistré une croissance annuelle de plus de 9 % en moyenne et une croissance accélérée des importations et des investissements à l'étranger. Pour les trois premiers trimestres de cette année, la Chine a réalisé une croissance de 9,4 %, une augmentation de 17 % du volume global de la vente au détail des articles de consommation et une hausse de 26,7 % des importations, qui ont atteint 1285,1 milliards de dollars US. Ces résultats constituent une importante contribution à la reprise et à la croissance de l'économie mondiale. Aujourd'hui, la Chine travaille à accélérer le changement de son mode de croissance, à restructurer son économie, à établir un mécanisme permanent d'accroissement de la demande intérieure et à favoriser une croissance tirée de manière concertée par la consommation, l'investissement et l'exportation. L'excédent commercial chinois ne représente plus que 3,2 % du PIB en 2010, contre 7,5 % en 2007. Pour les cinq ans à venir, la Chine maintiendra le taux de croissance de la consommation à un niveau assez élevé, avec une importation estimée à plus de 8 000 milliards de dollars US, ce qui sera une contribution majeure de l'économie chinoise à l'économie du monde.
Comment la Chine voit-elle la perspective de la crise de la dette en Europe ? Est-elle favorable à la participation du G20 au sauvetage ?
Ces derniers temps, les difficultés de certains pays européens liées à la dette souveraine ont attiré une haute attention de la communauté internationale. La Chine note que les dirigeants des pays concernés de la zone euro ont déclaré à plusieurs reprises que la partie européenne avait la détermination, la capacité et les moyens de résoudre cette question. Les récents Conseils européens ont adopté de nouvelles idées et mesures pour faire face à la crise, ce qui montre la volonté européenne de travailler en solidarité pour y trouver une solution. Nous espérons que ces mesures permettront à l'Europe de stabiliser le marché financier, de surmonter les difficultés du moment et de promouvoir la reprise et la croissance. La Chine souhaite sincèrement voir la stabilité de la zone euro et de l'euro.
Que pensez-vous de l'avenir des relations sino-européennes ?
La Chine considère depuis toujours l'Europe comme une force importante sur la scène internationale et soutient constamment l'intégration européenne. La Chine entend, de concert avec l'Europe, renforcer la connaissance mutuelle et la confiance réciproque, élargir et approfondir la coopération pragmatique dans tous les domaines, et construire un partenariat d'égal à égal basé sur le respect mutuel, l'amitié et la confiance réciproque, un partenariat de coopération marqué par les avantages mutuels, le gagnant-gagnant et le développement commun, un partenariat harmonieux et original caractérisé par l'inspiration mutuelle, et un partenariat international inclusif, ouvert et tourné vers l'avenir. Cela profite non seulement au développement de la Chine et à la reprise économique en Europe, mais également à la paix, à la stabilité et à la prospérité dans le monde. |