Le premier ministre du Conseil des affaires d'Etat Wen Jiabao a assisté le 13 septembre 2010, dans la municipalité de Tianjin, à la cérémonie d'ouverture du quatrième Forum du Davos d'été et à l'atelier des entrepreneurs, au cours desquels il a répondu aux questions du président du Forum économique mondial (FEM), Klaus Schwab, et des entrepreneurs.
Le PIB chinois a augmenté de 9,1 % en 2009 et de 11,1 % au premier semestre de cette année, permettant à la Chine de devenir l'un des pays au monde dont la croissance de l'économie est la plus rapide. Mais pour certains, il existe un écart entre la croissance de l'économie et l'amélioration du niveau de vie de la population. Quel est votre commentaire là-dessus ? Comment les richesses créées par la croissance du PIB peuvent-elles bénéficier au peuple ?
C'est en effet une question qui préoccupe le gouvernement chinois. Tout d'abord, nous devons reconnaître que les conditions de vie de la population s'améliorent progressivement grâce à la croissance de l'économie chinoise. De 2007 à 2009, le salaire des travailleurs a augmenté de près de 12 % par an, deux points de pourcentage de plus que la croissance du PIB. Le revenu disponible par habitant des citadins a augmenté de 9,1 % par an, et celui des ruraux, de 8,2 %. L'amélioration des conditions de vie est évidente. Cette amélioration se manifeste également dans la distribution secondaire du revenu, c'est-à-dire les dépenses publiques dans des secteurs comme la sécurité sociale, la culture, l'éducation et les soins médicaux. Cette année, les dépenses en la matière atteindront les 800 milliards de yuans.
Deuxièmement, nous devons garder en mémoire que la Chine reste un pays en développement, et que nous sommes encore à un stade particulier de développement. Par conséquent, nous devons d'abord nourrir la population, puis bâtir le pays. Ce que nous faisons aujourd'hui vise à améliorer la vie de la population de demain. Il est absolument nécessaire d'augmenter les dépenses dans ce domaine.
Troisièmement, nous devons résoudre le problème de l'équité et de la justice sociale, en augmentant la part de la rémunération du travail dans la répartition primaire, ainsi que celle des revenus des ménages dans le revenu national. Ces deux mesures incarnent notamment l'équité et la justice sociale. Nous devons non seulement faire en sorte que le « gâteau » soit plus gros, mais aussi le distribuer de façon équitable.
Un grand problème que nous rencontrons actuelle-ment concerne le déséquilibre de la répartition des revenus dans la société. Certains gagnent trop, quand une large part de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. Il nous faut prendre des mesures énergiques, y compris la réforme financière et fiscale ainsi que la réforme de la répartition des revenus, pour remédier étape par étape à cette distribution inéquitable. Ce sera une base importante pour promouvoir l'équité et la justice sociale, et maintenir la stabilité sociale.
Nul ne peut nier les grands changements dans la vie des Chinois depuis plus de trente ans de réforme et d'ouverture. Plus de 200 millions de personnes se sont affranchies de la pauvreté. Mais nous ne devons pas nier l'écart entre les riches et les pauvres, malgré l'amélioration générale des conditions de vie de la population. Si les richesses sont entre les mains d'un petit nombre de personnes, la majorité des gens vont inévitablement tomber dans la pauvreté, ce qui conduira à l'instabilité sociale.
Améliorer les conditions matérielles et culturelles du peuple, tel est l'objectif ultime de notre développement économique. Notre gouvernement quant à lui, doit restreindre l'écart de distribution de revenus et assurer l'équité et la justice sociale.
Durant les trente dernières années, le gouvernement chinois a créé avec succès un modèle de la croissance économique basé sur le « Made in China ». Dans le futur, elle pourrait avoir besoin de remplacer ce modèle par « Created by China » et « Served by China ». Pouvez-vous nous présenter votre point de vue sur le nouveau modèle de développement économique ?
Vous avez évoqué la question clé concernant le changement du modèle de croissance de l'économie chinoise, elle est aussi une question importante pour assurer un développement économique équilibré, coordonné et durable. Nous vivons actuellement dans le « Made in China », phase indispensable du processus de développement. Mais parfois, cela m'attriste. La majorité des bénéfices des produits chinois exportés à l'étranger revient aux sociétés étrangères. L'un des facteurs réside dans le manque de marques chinoises. Si une paire de chaussette d'une marque étrangère est vendue à 8 dollars, seulement 1 dollar va dans la poche du producteur chinois. Le passage du « Made in China » au « Created by China » est synonyme d'innovation technologique, de mise en œuvre du génie humain et de changement du mode de développement du pays.
Pour remédier à la situation, nous allons faire des efforts dans les trois aspects suivants :
Premièrement, développer énergiquement la science, la technologie et l'éducation. Pendant les huit ans de mon mandat de premier ministre, ont été formulés trois plans nationaux, à savoir le plan de développement de l'éducation à moyen et à long terme, le plan de développement de la science et de la technologie à moyen et à long termes, et le plan de développement des talents à moyen et à long terme. Ces trois documents constituent les fondements permettant d'évoluer vers le « Created by China ».
Deuxièmement, transformer les industries tradition-nelles par les nouvelles et hautes technologies. L'innovation technique de nombreuses industries traditionnelles chinoises représente une tâche importante. Dans ce processus, émergeront beaucoup de « Created by China », « Normes chinoises » et « Marques chinoises ».
Troisièmement, développer des industries stratégiques émergentes. Nous en avons défini sept, incluant les économies d'énergie et la protection de l'environnement, l'information et la manufacture haut de gamme. De plus, parmi elles, nous avons choisi plusieurs secteurs prioritaires. Nous nous efforçons d'occuper le leadership mondial dans ces secteurs. Nous en avons à la fois la détermination et la capacité.
Le développement du secteur des services découle de la restructuration économique, notamment les rapports entre les industries primaire, secondaire et tertiaire. Il nous faut stimuler énergiquement le développement du secteur des services, en particulier les services étroitement liés aux activités de production, ainsi que les services publiques et les services financiers. Je vous prie d'accorder une attention particulière aux deux domaines dans lesquels le secteur des services chinois jouit d'un énorme potentiel de développement. Le premier est le progrès de l'industrialisation et de l'urbanisation, et le second le développement des entreprises publiques : l'éducation, la santé publique et les soins médicaux.
Par ailleurs, je voudrais souligner que l'industria-lisation et l'urbanisation de la Chine doivent éviter à tout prix de sacrifier l'agriculture. La modernisation de l'agriculture va sans aucun doute stimuler le développement du secteur des services à la campagne, c'est également un grand potentiel de développement.
A la veille de la conférence de Copenhague l'an dernier, le gouvernement chinois a rendu public ses objectifs de réduction des émissions de carbone, et a élaboré une batterie de politiques et de mesures en la matière. Cependant, au premier semestre 2010, la consommation d'énergie par unité de PIB chinois a augmenté, ce qui rendra plus difficile la réalisation des objectifs d'économies d'énergie et de réduction des émissions définis dans le XIe Plan quinquennal. Quelles mesures le gouvernement chinois adoptera-t-il pour remplir ses objectifs ?
Vous évoquez une question très importante à mes yeux. La consommation d'énergie par unité de PIB chinois a chuté de 15,6 % au cours des quatre ans écoulés, mais nous visons une réduction d'environ 20 % sur 5 ans. L'augmentation de la consommation unitaire d'énergie du PIB au cours du premier trimestre de cette année est due au développement aveugle de certaines industries à haute consommation d'énergie dans le processus de reprise économique. Nous avons déjà découvert ce problème et adopté des contre-mesures. Par conséquent, sur l'ensemble de la première moitié de l'année, la consommation d'énergie a cessé d'augmenter et commencé à baisser. Toutefois, les objectifs fixés dans le XIe Plan quinquennal sont très difficiles à réaliser.
Nous comptons également réduire le nombre d'entreprises à forte consommation d'énergie pour la seconde moitié de cette année, y compris la fermeture des centrales thermiques, des aciéries et des cimenteries de petite taille. Nous devons nous atteler à ces objectifs, quitte à pénaliser la croissance du PIB. Il nous faut évidemment apprécier ce problème de manière réaliste, afin d'éviter la formalisation et la falsification. Je présenterai les résultats en la matière à la prochaine session de l'Assemblée populaire nationale qui se tiendra en mars 2011, et aussi au monde entier. Je ne sais pas ce qu'il en sera de ce résultat, mais je suis déterminé à faire tout ce qu'un gouvernement responsable doit faire.
Le taux d'urbanisation ne cesse de croître, et avec lui le taux d'urbanisation des terres arables. Aujourd'hui, en ville, la superficie de terrain par citadin a atteint 110 à 130 mètres carrés en raison de la transformation de terres rurales et même de terres arables en terrains de construction urbaine. Certaines personnes indiquent que cette politique d'accélération de l'urbanisation n'est pas durable. Quelle est votre commentaire là-dessus ?
Le taux d'urbanisation de la Chine est d'environ 46 % à l'heure actuelle. Pourtant, ces dernières années, dans des villes de petite et moyenne taille, ou même dans certaines grandes villes, l'augmentation de la surface de terres arables utilisées pour la construction a effectivement dépassé celle du taux d'urbanisation de la population. Ignorant leurs conditions réelles, ces villes se passionnent pour la construction de larges routes et de grandes places. Une grande quantité de terres arables a par conséquent été occupée et, dans beaucoup de villes, les terres agricoles et les potagers en banlieue ont disparu. Nous devons accorder une haute attention à ce problème.
J'ai toujours pensé que si l'économie chinoise rencontrait des problèmes, ils pourraient venir de l'agriculture. Et le problème agricole serait très probablement lié à la terre. Par conséquent, il nous faut absolument préserver au moins 1,8 milliard de mu (120 millions d'hectares) de terres cultivées dans tout le pays, c'est là un seuil à ne pas franchir. Cela assure non seulement la subsistance de plus de 1 milliard d'habitants, mais aussi le développement durable de la Chine. L'apparition du problème est certainement lié à la mentalité de certains responsables locaux, mais fondamentalement, il s'agit d'un problème institutionnel.
Ce problème institutionnel concerne deux aspects. D'abord, les terres légitimes des agriculteurs ne sont pas effectivement protégées. Ensuite, nos politiques budgétaires et fiscales favorisent, dans une large mesure, l'existence de la « finance des terres », c'est-à-dire que l'utilisation abusive de terres permet d'obtenir plus de recettes financières. En conséquence, des terres sont acquises à des agriculteurs à faible coût et, ensuite, vendues à des promoteurs à un prix élevé. Par ailleurs, la construction de larges routes et de grandes places peut illustrer la « performance » des responsables ; ce problème est en fait lié au système d'évaluation des fonctionnaires. Nous devons alors résoudre ces problèmes en recourant à des moyens institutionnels.
L'industrie manufacturière chinoise s'attelle au défi majeur de la création d'emplois. Mais le coût du travail est en hausse ces derniers temps, ce qui pourrait avoir un impact sur la compétitivité des entreprises et de leurs produits. Comment le gouvernement chinois envisage-t-il le rapport entre la hausse du coût du travail et la compétitivité ?
Une grande partie de la main-d'œuvre chinoise est bon marché et a besoin d'une augmentation rationnelle du coût du travail. Dans la première moitié de cette année, le salaire minimum de 23 provinces a augmenté de près de 25 %. Mais, nous devons prendre conscience des deux questions suivantes :
D'abord, la pénurie d'emploi reste un grand problème à résoudre en Chine. Nous devons créer des emplois pour 15 millions de travailleurs migrants et 24 millions de chômeurs citadins. Pour ces personnes, il importe de trouver un emploi, c'est ainsi qu'elles peuvent avoir un salaire. Ainsi, l'augmentation de salaires devrait-elle être maintenue dans une fourchette raisonnable pour que nos industries soient compétitives et capables de créer des emplois.
Ensuite, nous devons comprendre que l'augmentation des salaires devrait aller de pair avec l'amélioration de la productivité. La croissance de la valeur ajoutée des produits et l'amélioration de la productivité constituent le fondement de l'augmentation des salaires des travailleurs. La bonne compréhension de ces raisons nous permettra d'établir des rapports de travail harmonieux dans la société.
Quels sont les secteurs prioritaires dans le XIIe Plan quinquennal ? Quels sont les secteurs d'activités que le gouvernement chinois envisage de développer en priorité ?
Le XIIe plan quinquennal est en cours d'élaboration. Au cours du XIIe quinquennat, nous devrons rationnaliser la structure des secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Dans le processus d'accélération de l'industrialisation et de l'urbanisation, nous œuvrerons au développement de l'agriculture pour réaliser la modernisation agricole. En ce qui concerne le secteur secondaire, nous attacherons une importance particulière aux industries liées à la vie de la population, aux ressources et à l'environnement, ainsi qu'aux industries d'économies d'énergie et de protection de l'environnement. Des industries incluant la réduction de la consommation d'énergie, la protection de l'environnement, la nouvelle génération de technologies de l'information, la biologie, la fabrication d'équipements haut de gamme, de nouvelles sources d'énergie, de nouveaux matériaux et la production d'automobiles à énergie renouvelable devront être considérées comme nouvelles industries stratégiques. Dans le même temps, nous accélérerons le développement des services modernes, en particulier les services liés aux activités de production.
Il y a peu, certains ont indiqué que l'environnement commercial en Chine semblait s'être détérioré. Cette idée se base-t-elle sur des informations erronées ? Ou bien les documents publiés par le gouvernement chinois concernant l'achat gouvernemental et l'innovation indépendante ont-ils été mal interprétés ?
La croissance des investissements des entreprises étrangères sur le territoire montre que celles-ci font toujours confiance à la Chine. Cependant, on a vu récemment se multiplier les débats sur les problèmes liés à l'innovation indépendante, à la propriété intellectuelle et à l'achat gouvernemental. Ces problèmes ne découlent pas uniquement des malentendus des entreprises étrangères : nos politiques imprécises sont également fautives. En effet, toutes les entreprises étrangères enregistrées en Chine jouissent du même traitement que les entreprises chinoises ; en ce qui concerne l'innovation indépendante, l'achat gouvernemental et la protection de la propriété intellectuelle, nous les traitons avec la même impartialité. Nous perfectionnerons les règlements et les lois en rapport, et participerons activement à l'Accord sur les marchés publics.
Le rapport publié il y a peu par l'Agence internationale de l'énergie affirme que la Chine a dépassé les Etats-Unis, en devenant le plus grand pays consommateur d'énergie du monde. Dans votre discours, vous avez insisté sur l'importance de l'efficacité énergétique et de l'utilisation des ressources. Sur le long terme, quelles mesures le gouvernement chinois prendra-t-il afin d'équilibrer les rapports entre approvisionnement en énergie et consommation énergétique ?
La demande énergétique chinoise est en hausse. Cette croissance est liée à l'étape actuelle de développement, mais il faut y prendre garde. Je veux mettre l'accent sur deux points. Dans l'histoire, l'industrialisation des pays développés s'est étalée sur deux à trois siècles, alors qu'en Chine, ce processus ne s'étend que sur quelques dizaines d'années. Notre niveau moyen de consommation d'énergie par habitant n'atteint que le cinquième des Etats-Unis, et le tiers des pays de l'OCDE. Alors que nous tenons cette réunion dans cette grande salle lumineuse, beaucoup de régions montagneuses chinoises n'ont pas encore accès à l'électricité. Les fermiers de ces régions font la cuisine et se chauffent au bois toute l'année. Néanmoins, nous devons contrôler le développement des industries de haute consommation.
La Chine doit suivre la voie de l'économie d'énergie. Dans son développement, la Chine doit attacher de l'importance à la réduction de la consommation d'énergie et à la protection de l'environnement, et c'est une politique fondamentale que la Chine applique fermement. Pour répondre à la croissance de la demande d'énergie, il faut procéder à la restructuration de l'économie, développer des produits de notre propre invention, à faible consommation et à hautes valeurs ajoutées. C'est de cette façon que notre industrie et notre économie pourront suivre la voie du développement durable. |