Certains pays occidentaux ont récemment souhaité que la Chine prenne davantage de responsabilités internationales, car le PIB chinois occupait désormais le deuxième rang mondial. Mais la Chine est-elle pour autant devenue une puissance économique mondiale ? La Chine peut-elle prendre plus de responsabilités internationales ? Sur ces questions, le Quotidien du Peuple (édition d'outre-mer), a récemment interviewé M. Pei Changhong, directeur de l'Institut de finances et d'économie de l'Académie chinoise des sciences sociales.
La puissance du pays et les richesses de la population restent faibles
Q : Comment devrions-nous, d'une façon sage et scientifique, considérer le fait que le PIB chinois soit parvenu au deuxième rang mondial ?
Pei Changhong : C'est une bonne chose, résultat de longs efforts du peuple chinois ; c'est également un grand succès de la réforme et de l'ouverture appliquées depuis plus de trente ans. En effet, tout cela est réjouissant.
Toutefois, cet indicateur n'est pas significatif pour tout. Ce grand succès montre seulement que le peuple chinois est sorti de la pauvreté, et que certaines personnes peuvent mener une vie moyennement aisée. C'est sa seule signification.
Tout d'abord, car le PIB par habitant est beaucoup moins élevé, et que la Chine reste un pays à moyens et faibles revenus. Dans le rapport 2010 sur le développement du monde publié par l'ONU, beaucoup de données montrent que la Chine est encore très pauvre. Selon une enquête de 2005, le revenu disponible de 15,9 % de la population chinoise était inférieur à 1,25 dollar par jour et celui de 36,3 %, inférieur à 2 dollars. Cela signifie que plus d'un tiers des Chinois vivait avec moins de 2 dollars tous les jours, soit environ 14 yuans. En fait, le volume du PIB est lié à la grande population qu'abrite la Chine. L'activité économique à grande échelle ne signifie pas que tous les Chinois sont riches, bien au contraire, une partie importante d'entre eux reste pauvre.
Deuxièmement, la Chine est un vaste pays. Le développement économique est fort inégal entre les différentes régions : la région orientale est relativement riche, mais les autres régions, au Centre et à l'Ouest, restent pauvres. Le gouvernement central a donc un lourd fardeau à assumer en matière du volume des transferts de paiements. Ceux-ci visent à transférer, par le biais de la distribution de revenus financiers récemment augmentés, une partie de richesses de la région orientale vers les régions centrale et occidentale. En plus de ce moyen financier, un grand nombre d'aides ciblées ont été entreprises sous l'initiative du gouvernement central. Par exemple, à l'issue de la réunion de travail sur le Xinjiang, ont été déterminées les missions d'aide ciblée pour les différents districts et villes du Xinjiang, engagées par des autorités locales de la région orientale. Il s'agit d'un deuxième transfert de paiements. Comme les régions riches de l'Est, premières à s'enrichir, ont la lourde responsabilité d'aider les régions centrale et occidentale, leurs moyens de se développer s'en trouvent ainsi limités.
Troisièmement, les catastrophes naturelles sont très fréquentes en Chine, comme l'a attesté le rapport susmentionné des Nations Unies. Les gouvernements aux différents échelons et le peuple sont obligés de réserver une partie de leurs revenus limités à la réparation des dommages de désastres de leurs régions et à l'assistance aux autres régions sinistrées. En Chine, le coût de la lutte contre les calamités naturelles est donc beaucoup plus élevé qu'ailleurs sur la planète. Le volume du PIB chinois augmente, mais les charges de la lutte contre les catastrophes naturelles et de la diminution de pauvreté augmentent simultanément. Et avoir le second plus grand PIB mondial est loin d'être suffisant pour mener à bien les affaires intérieures de la Chine.
L'amélioration de l'économie dépend de la mutation du modèle de croissance
Q : Le PIB chinois est important mais l'économie chinoise n'est pas puissante, quelles en sont les raisons principales ? Comment améliorer la qualité de l'économie ?
Pei Changhong : L'économie chinoise a une grande envergure mais elle n'est pas puissante. Le mode de développement économique dépassé en est la cause principale. Une telle envergure est réalisée par d'importants investissements. Depuis des années, l'investissement dans l'immobilier représente plus de 50 % du PIB. Notre modèle de développement demande une importante consommation de ressources et d'énergies, tandis que la valeur ajoutée par unité de matière première et d'énergie est beaucoup moins élevée que celle des pays développés. Dans nos activités économiques, la valeur créée par le développement scientifique et technologique, ainsi que la valorisation du capital humain est moins importante. Beaucoup de produits chinois n°1 mondiaux en termes de volume de production se trouvent en bas de la chaîne industrielle ; les technologies clés et le marketing sont contrôlés par d'autres. Leur valeur ajoutée est donc faible.
Sans la mutation du mode de développement économique, se poseront des problèmes d'utilisation non durable des ressources et des énergies, aboutissant à une dépendance excessive ou entière aux ressources et énergies étrangères dans le développement de l'économie chinoise, économie caractérisée par l'investissement et la consommation d'énergie et de matière première. Cela est défavorable pour l'économie mondiale. Pour changer de mode de développement économique, il faut réserver davantage de ressources financières pour développer l'éducation et le capital humain, et soutenir l'innovation scientifique et technologique et la R&D. Dans les Grandes lignes du Plan pour la réforme et le développement de l'éducation nationale à moyen et à long termes (2010-2020), publiées cette année par le gouvernement central, il est indiqué que les dépenses budgétaires prévues pour l'éducation devront représenter 4 % du PIB.
Par ailleurs, pour convertir le modèle du développement économique et développer le marché intérieur, la Chine devrait se consacrer davantage à l'amélioration des conditions de vie de la population et accélérer le développement des œuvres sociales. Par exemple, hormis l'éducation, il faut également développer l'hygiène, la médecine et le sport, ainsi que le secteur tertiaire. L'objectif du développement de la Chine est d'édifier une société de moyenne aisance dans tous les domaines. L'amélioration des conditions de vie de la population en est une partie importante, et cela nous contraint à débloquer davantage de capitaux dans le développement des œuvres sociales pour assurer l'harmonie et l'équilibre entre le développement économique et le progrès social. Ainsi, est-il urgent de mettre à l'ordre du jour l'augmentation des dépenses budgétaires pour les travaux d'utilité publique, et le développement des services publics. A l'avenir, les gouvernements aux différents échelons devront allouer une plus grande part de leurs revenus financiers à l'amélioration des conditions de vie de la population et au développement des services publics. Si, au début de la Réforme et de l'Ouverture, la Chine faisait face à une situation où tout était à reconstruire, aujourd'hui elle doit réaliser la modernisation globale du pays. La construction nationale, une tâche particulièrement lourde, nécessite donc d'importantes ressources financières.
Demander à la Chine de prendre plus de responsabilités est déraisonnable
Q : Pourquoi ne peut-on pas faire de lien entre le PIB de la Chine et les responsabilités économiques internationales ? Quelles responsabilités devons-nous assumer ?
Pei Changhong : La Chine ne renonce certainement pas aux responsabilités internationales qui lui incombent, mais ces responsabilités devraient s'adapter au niveau de développement socio-économique de la Chine. Demander à la Chine de prendre des responsabilités au-delà de son développement économique et social, ce n'est pas raisonnable. La Chine n'a jamais éludé ses responsabilités internationales. Par exemple, sur la question de la lutte contre le changement climatique mondial, la Chine a fait preuve d'une attitude très positive, s'engageant à diminuer d'ici 2020 ses émissions de dioxyde de carbone de 40 à 45 %. Il s'agit d'une tâche difficile. Lorsque la Chine honore ses obligations internationales, il lui faut déployer d'énormes efforts, parce que ce n'est pas une chose facile à faire.
Aujourd'hui, certains Occidentaux tentent de profiter de cette place de deuxième PIB mondial pour faire des histoires, en demandant à la Chine d'assumer davantage de responsabilités internationales. C'est justement un reflet de l'actuel ordre politico-économique mondial déraisonnable. Les pays développés ont la majorité des ressources et des richesses, avec l'appui d'un système monétaire international déraisonnable. Leurs responsabilités ne sont jamais honorées, par contre, ils demandent aux pays possédant peu de ressources et richesses, et en position défavorable dans le système monétaire international, de prendre davantage de responsabilités. Est-ce raisonnable ? La Chine vient de sortir de la pauvreté, sa population peut depuis peu satisfaire à ses besoins en nourriture et en habillement. Lui demander de prendre plus de responsabilités, c'est impossible.
Avec ses ressources limitées, la Chine est parvenue à nourrir sa population de 1,3 milliard d'habitants, soit environ un cinquième du monde, avec seulement 7 % des terres agricoles du monde. Cela constitue en soi un travail difficile. Sur cette base, nous pouvons assumer certaines autres responsabilités internationales correspondant au niveau de développement socio-économique du pays, et dans les limites de nos ressources financières.
La vérité sur le passage du « bâton » aux « flatteries »
Q : Pour quelles raisons certains pays occidentaux demandent-ils à la Chine d'assumer plus de responsabilités internationales ?
Pei Changhong : Les raisons de l'apparition de cette tendance sont fort complexes. Je pense qu'il y a quatre raisons principales qui peuvent l'expliquer. Primo, les forces hostiles de l'Occident ne souhaitent pas voir la Chine se développer rapidement. Dans le passé, elles l'ont malmenée avec le « bâton » ; maintenant, pour des buts inavoués, elles recourent aux « flatteries », en disant : « Maintenant, vous êtes forts, vous devez donc assumer plus de responsabilités. » Secundo, pour beaucoup d'étrangers qui ne connaissent pas la situation en Chine, cet indicateur économique a engendré des méprises. Tertio, la jalousie en est une autre cause. Lorsqu'un de vos voisins aux conditions de vie semblables aux vôtres s'est enrichi rapidement, on devient jaloux. Généralement, la plupart des gens sont un peu jaloux, nous devons donc leur permettre d'exprimer leurs sentiments. Quarto, c'est la raison essentielle : la Chine n'est pas puissante. Jadis, quant la Chine était pauvre, personne n'y attachait d'importance. Si la Chine était puissante, personne ne lui ferait de remarques irresponsables. Aujourd'hui, la Chine a fait des progrès, mais elle n'est pas un pays puissant ; les gens peuvent donc dire ce qu'ils veulent. La Chine est désormais une cible pour les autres, nous devons, psychologiquement, nous préparer à faire face à une telle situation.
Les malentendus sur la question du deuxième PIB mondial de la Chine doivent être clarifiés. Sinon, ils seront favorables à la prolifération de cette tendance dans l'arène internationale. D'ailleurs, nous devons faire en sorte que les gens découvrent les côtés arriérés de la Chine. En somme, faire l'inverse qu'au début des années 80, quand les Chinois parlaient du développement de leur pays, en cachant les mauvais côtés, de crainte de perdre la face.
En fait, le seul volume du PIB ne saurait satisfaire les Chinois. La vie quotidienne reste difficile pour bon nombre d'entre eux. Les gens ordinaires ne s'intéressent pas au PIB, ils se préoccupent de l'augmentation de leurs revenus et des avantages que peuvent leur apporter le développement économique et les entreprises sociales. Les Chinois pensent plutôt à comment envoyer de leurs enfants au jardin d'enfant, se faire soigner à l'hôpital, et acheter un appartement pour le mariage. A l'heure actuelle, le PIB par habitant est évalué à un peu plus de 3 000 dollars. Dans le projet de réalisation d'une société de moyenne aisance dans tous les domaines, objectif prévu pour 2020, le PIB par habitant devra atteindre 7 000 à 10 000 dollars. Néanmoins, pour rattraper les pays moyennement développés, il faudra attendre 2049, quand le PIB par habitant devrait atteindre 25 000 à 30 000 dollars. Mais c'est encore loin.
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