Un certain nombre d'incidents économiques, par exemple l'aggravation de la crise des déficits en Europe, la question de la régulation du marché immobilier ou encore la dégringolade du marché boursier chinois, ont récemment émergé à l'intérieur comme à l'extérieur de la Chine. L'économie chinoise serait-elle sur le point d'éclater comme une bulle de savon, ainsi que l'ont prédit les médias étrangers ? La croissance de l'économie chinoise va-t-elle fortement chuter dans les dix ans à venir ? Li Daokui, directeur de la Faculté des finances de l'Institut de management économique de l'université Qinghua et membre de la Commission de la politique monétaire de la Banque populaire de Chine, a répondu à l'édition internationale du Quotidien du peuple.
Croissance solide pour l'année en cours
Quotidien du peuple : Compte tenu des restrictions imposées par le gouvernement chinois aux acteurs du marché immobilier et à la dégringolade du marché boursier, certains semblent suggérer que la croissance de l'économie chinoise serait menacée. Quel est votre avis ?
Li : Ces allégations sont sans fondement. Non seulement l'économie chinoise bénéficie cette année encore d'une croissance solide, mais elle devrait en outre connaître dans les dix ans à venir une nouvelle phase de développement rapide, avec un taux de croissance de son PIB d'environ 9 ou 10 %. Tant que le gouvernement poursuivra le réajustement de la structure économique et la transformation du mode de développement, la croissance sera assurée.
Le contexte général entourant l'économie chinoise n'a pas changé. Nos politiques ne doivent pas être affectées par des facteurs à court terme ni pâtir de l'agitation ambiante.
Tout en poursuivant sa stratégie de développement visant à la restructuration économique et au changement du mode de développement, le gouvernement doit adopter une vue à long terme et rester ferme dans ses décisions. Ce n'est qu'à cette condition qu'il sera en mesure d'ériger une base solide garantissant une croissance pérenne de l'économie du pays dans les dix et même vingt années à venir.
Considérant la tendance actuelle de la valorisation progressive du renminbi contre le dollar, il est envisageable que la Chine dépasse les Etats-Unis en 2020 en terme d'agrégats économiques, devenant ainsi la plus grande entité économique du monde. Si tel est le cas, son PIB par habitant atteindra 17 000 dollars, soit l'un des plus élevés parmi les pays développés moyens. Tout cela dépendra bien sûr de la constance avec laquelle seront poursuivies la restructuration économique et la transformation du mode de développement.
La crise des déficits européens a des effets limités sur la Chine
Quotidien du peuple : La crise des déficits européens va-t-elle provoquer une nouvelle récession de l'économie mondiale ? Quels pourraient être ses effets sur l'économie chinoise ?
Li : La crise financière qui est née aux Etats-Unis et qui s'est transformée avant de se propager en Europe a provoqué une baisse durable du taux de croissance économique des pays concernés, et les a gravement affaiblis. Aujourd'hui, on peut considérer que cette tempête financière touche à sa fin.
La crise du déficit de la Grèce n'a pas radicalement affecté la tendance au redémarrage de l'économie mondiale, notamment des Etats-Unis, de l'Allemagne, de la France et du Japon, qui n'ont pas été directement concernés par la crise des déficits européens.
Je ne pense absolument pas que cette crise européenne soit le prélude d'une deuxième crise financière ou qu'elle provoque de récession économique mondiale.
Quant à la situation économique globale de la Chine, caractérisée par un redémarrage et un développement solides, elle n'est pas menacée par la crise européenne. Ma conclusion repose sur le fait que les réajustements opérés en 2009 ont grandement réduit la dépendance de l'économie chinoise à la demande extérieure.
La consommation est un frein à la croissance économique chinoise
Quotidien du peuple : Selon certains, la Chine serait en train de perdre son avantage lié à sa grande population en raison du vieillissement dont elle est frappée, un phénomène qui provoquera à terme une baisse du taux de croissance économique. Quel est votre avis ?
Li : Jusqu'ici, ce qui a restreint la croissance de l'économie chinoise ce n'est pas la baisse de la capacité de production, mais la faiblesse de la consommation. Lorsque la structure démographique du pays deviendra plus mûre et que l'exode rural se tarira, les salaires représenteront une plus grande part du PIB. La perte de l'avantage lié à une forte population signifie corrélativement l'essor croissant de la consommation, l'intensification de l'urbanisation et l'accroissement de la demande intérieure. Dans la décennie à venir, la Chine devrait connaître une phase de développement marquée par une augmentation constante de la demande intérieure, par la diminution de la dépendance à l'extérieur et par l'amélioration progressive de la structure économique et du mode de développement. En outre, les progrès de l'urbanisation et de la consommation domestique ainsi que la révolution des capacités de production vertes devraient soutenir la croissance rapide de l'économie chinoise pendant cette période.
Précisons un peu. Tout d'abord, la Chine va entrer dans une période d'urbanisation croissante. Aujourd'hui, le taux d'urbanisation chinois est de 46,6 %, ce qui est un chiffre assez bas par rapport à celui observé dans les pays de niveau économique équivalent. Une augmentation de ce taux de 1 % par an génèrerait une progression du PIB d'au moins 2 ou 3 %.
Pour ce qui est de la consommation, le taux de croissance observé en Chine au cours des deux dernières années a été le plus élevé de la dernière décennie. Si l'on prend le chiffre d'affaires du secteur de la vente au détail comme indice, on constate une augmentation de 15 %. De plus, les salaires représentent une part de plus en plus grande dans le PIB. D'ailleurs, dans un avenir proche, la croissance des salaires pourrait bien dépasser celle du PIB, ce qui favoriserait une hausse constante de la consommation.
Parallèlement, le gouvernement va poursuivre les efforts entrepris visant à éliminer les capacités de production fortement polluantes, énergivores et peu efficaces. En supposant que l'on parvienne à remplacer 5 % des capacités de production, le PIB devrait augmenter d'au moins 2 %. Cela consolidera la base du développement économique tout en favorisant l'afflux d'investissements.
La régulation du marché immobilier est un moyen de « détoxication »
Quotidien du peuple : Actuellement, on parle beaucoup des mesures de régulation prises en direction du marché immobilier. Auront-elles pour conséquence un affaiblissement des forces motrices de la croissance de l'économie chinoise ?
Li : Non. Ces mesures régulatrices ont été prises par la Chine dans un contexte directement lié à la crise financière survenue en 2009. Le gouvernement avait alors pris une série de décisions fortes pour faire face aux effets de cette crise, décisions qui se sont d'ailleurs avérées judicieuses. Or comme le dit le proverbe chinois, « Tous les médicaments sont plus ou moins toxiques. » Les mesures de régulation du marché immobilier sont justement des médicaments de détoxication. Leur prescription a pour but de contrebalancer les effets secondaires des crédits délivrés en masse et des multiples mesures financières adoptées en 2009.
La régulation du secteur immobilier devrait permettre à la croissance économique de reposer sur une base plus solide. Les mesures visant à restreindre une hausse trop rapide des ressources immobilières vont être maintenues puis évolueront et toucheront enfin aux logements bénéficiant des mesures d'encouragement du gouvernement.
Il faut radicalement transformer le mode de fonctionnement actuel du secteur de l'immobilier et rapidement mettre en place une nouvelle architecture. Le gouvernement pourra recourir aux logements subventionnés afin de permettre aux jeunes d'acheter un appartement, ce qui devrait permettre d'atténuer les mécontentements. |