Le 22 mars 2010, dans l'après-midi, le premier ministre chinois Wen Jiabao a rencontré, au Grand palais du peuple, à Beijing, les délégués venus de l'extérieur du continent de la Chine, pour participer à la session annuelle du Forum de haut niveau sur le développement de la Chine. Il s'est longuement entretenu avec les participants sur la situation économique mondiale. Les conversations ont tourné autour de la lutte contre la crise financière internationale, le maintien d'un développement stable et rapide de l'économie chinoise, l'accélération du changement du mode de la croissance économique ainsi que la promotion de la coopération économique et financière internationale. Voici des extraits de l'entretien.
Wen : C'est la huitième fois consécutive que je rencontre les délégués d'outre-mer qui sont venus pour participer au Forum de haut niveau sur le développement de la Chine. Je vous remercie pour l'attention que vous portez à la réforme, l'ouverture et la construction du pays. Vous venez en Chine parce que vous lui faites confiance, en dépit de la longue distance qui nous sépare. Aussi, la Chine se doit d'affermir votre confiance par des actions et des progrès.
L'entretien d'aujourd'hui est différent des précédents : premièrement, les ministres des départements importants du Conseil des affaires d'Etat sont tous présents ; deuxièmement, notre dialogue sera complètement ouvert aux journalistes. J'espère que vous pourrez tout nous dire, sans retenue aucune.
Stephen Green, président de la HSBC : Qu'envisage le gouvernement chinois en ce qui concerne le perfectionnement du système financier et le développement du marché du capital ?
Wen : Si la Chine a pu répondre de manière appropriée à la crise financière internationale, c'est parce que son système financier, assez sain, n'a pas été rudement touché. Cela ne signifie pas que notre système financier soit exempté de problèmes, mais seulement que nos banques n'ont pas effectué d'investissements à risques.
En fait, les banques européennes et américaines ont plus d'expérience que les nôtres en matière de contrôle, car vous avez une histoire bancaire de plus de cent ans déjà, contre une vingtaine d'années pour nous. Lors de ma première visite de la Banque d'Angleterre, j'ai été très impressionné par le grand nombre de portes et la petite taille des fenêtres. A ma grande surprise, l'industrie bancaire européenne a été touchée par la crise financière internationale.
La Chine veut établir un système financier complet, sain et durable à travers la réforme. L'an dernier, nous avons mis en place une politique monétaire adéquatement souple, dans le but d'assurer l'abondance des liquidités et de rendre les crédits durables et équilibrés. Mais ce vœu n'a pas été complètement exaucé. Cela explique qu'il existe des défauts dans le contrôle et la surveillance de la finance. Certains qui ne connaissent pas la réalité croient que le gouvernement chinois accroît intentionnellement les crédits. C'est en réalité ma crainte chaque jour.
Déjà, lors du Forum de Davos l'été dernier, j'ai proposé de bien gérer la prévision de l'inflation. Plus tard, nous avons renforcé la gestion des crédits. Mais en janvier dernier, l'octroi des crédits a été assoupli. Il s'agit donc de problèmes de mécanisme. Ainsi, la réforme financière chinoise ne doit pas s'arrêter, bien au contraire, il faut continuer à l'approfondir. La crise financière n'est pas encore passée, la tâche la plus importante qui se profile à l'horizon concerne la prévention des risques systémiques.
La Chine accorde une haute importance au développement du marché du capital. Même au moment le plus difficile, nous n'avons pas abandonné la réforme de ce marché. L'an dernier, nous avons mis en place le marché boursier des starts-up. La réforme vise bien à transformer la levée indirecte de fonds en une combinaison du financement indirect avec le financement direct. C'est ainsi qu'on pourra faire jouer pleinement son rôle au marché de capitaux.
Ellen. J. Kullman, PDG et CEO de Dupont : Comment le gouvernement chinois utilisera-t-il les nouvelles technologies, y compris les biotechnologies, dans la promotion du développement de l'économie chinoise ?
Wen : Nous accueillons les multinationales qui viennent investir en Chine. La crise financière a bouleversé les économies substantielles en Chine. Mais certaines d'entre elles ont réussi à tenir debout dans la difficulté et même à se développer, essentiellement parce qu'elles sont puissantes scientifiquement et technologiquement, et possèdent des hommes de talent. Les multinationales constituent la force majeure de la réponse à apporter à la crise économique, et aussi dans la reprise de l'économie mondiale.
En faisant une rétrospective des grandes crises économiques mondiales, on s'aperçoit qu'elles ont été dans la plupart des cas accompagnées de profondes transformations scientifiques et technologiques. Grâce à ces révolutions, les technologies ont pu créer des brèches, aidant à surmonter la crise économique et permettant à l'économie de progresser.
Nous plaçons l'avenir de l'économie chinoise dans les hautes et nouvelles technologies, y compris les biotechnologies et la biologie. Ces dernières sont étroitement liées à l'existence humaine et sont indispensables pour la vie humaine. Leur développement est infini. La Chine a une population nombreuse. Biologie et biotechnologies présentent un énorme potentiel de développement et de larges perspectives de marché dans ce pays. La Chine est prête à renforcer la coopération avec les entreprises possédant des technologies pionnières. Le gouvernement chinois créera des chances pour vous et nous vous prions de ne pas les laisser passer.
Nicolas Stern, professeur à London School of Economics : La Chine fixera-t-elle des objectifs plus hauts concernant les économies d'énergie et la réduction des émissions polluantes dans le XIIe plan quinquennal ?
Wen : Les problèmes liés aux émissions de gaz à effet de serre sont, dans l'ensemble, une conséquence de la centaine d'années d'industrialisation des pays développés. Les pays en développement comme la Chine n'ont jamais été de gros émetteurs, que ce soit en termes d'émissions totales comme d'émissions par habitant.
Pays en développement responsable, la Chine est sincère en se fixant des objectifs de réduction. Elle ne suivra absolument pas le chemin des pays développés qui consiste à « émettre d'abord, aménager après ». La Chine voit les économies d'énergie et la réduction des émissions polluantes comme une mesure stratégique, et l'insère dans le long processus des XIe et XIIe plans quinquennaux, et même dans tous les plans ultérieurs.
Dans le XIe plan quinquennal, notre objectif est d'abaisser de 20 % la consommation énergétique par unité de PIB. La réalisation de cet objectif nous a coûté cher. Au cours des quatre dernières années, nous avons réduit la capacité de production de l'acier et de la fonte de 100 millions de tonnes, celle des petites centrales thermiques de 60 millions de kW, et nous avons aussi baissé la production du ciment. Tout cela a exercé une grande pression sur l'emploi de notre pays.
Nous nous en tenons au principe de « responsabilités communes mais différenciées ». Nous avons lancé la réduction des émissions polluantes de manière autonome. Les objectifs fixés sont contraignants ; des examens et des évaluations sur la faisabilité de ces objectifs doivent être réalisés avant de les soumettre à l'approbation de l'Assemblée populaire nationale.
Lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, tenue à Copenhague, j'ai solennellement annoncé, au nom du gouvernement chinois, de réduire de 40 à 45 % les émissions de gaz carbonique avant 2020. Cet objectif sera échelonné dans le XIIe plan quinquennal. La réduction des émissions polluantes de la Chine n'est annexée à aucune condition additionnelle. Nous nous efforçons de faire mieux que prévu.
Maurice Greenberg, Président de C.V. Starr : Comment la Chine traitera-t-elle les différends qui existent entre les grands pays concernant la lutte contre la crise financière ?
Wen : Face à la crise financière, nous devons nous serrer les coudes et coopérer. Au début de la crise, j'ai appelé plusieurs fois à la confiance et au courage. Aujourd'hui, je voudrais souligner que nous devons garder la tête-froide et l'esprit lucide. L'économie mondiale tend vers la reprise, mais la route reste encore longue. J'appelle encore une fois tous les pays et les industriels responsables à éviter les guerres commerciale et monétaire, car cela est inutile pour que nous surmontions les difficultés. Ce dont nous avons besoin pour le moment, c'est de respect mutuel, de consultation à part égale et d'un renforcement de la coopération. La Chine peut garantir trois points : premièrement, bien gérer ses propres affaires pour ne pas créer de troubles dans le monde ; deuxièmement, ne pas se développer au détriment des pays voisins et troisièmement, de concert avec les autres pays du monde, promouvoir la transformation du système financier international, renforcer la coordination politique, lutter ensemble contre la crise et assurer une plus grande stabilité à la reprise économique.
Stephen Roach, président de Morgan Stanley (Asie) : Deux questions ont obtenu un consensus relatif : les pays doivent tous éviter de tomber dans le piège des frictions commerciales et du protectionnisme, et la Chine doit accélérer la mutation de son mode de croissance. Quel est votre point de vue sur ces deux questions ?
Wen : Comme de nombreux pays du monde, la Chine préconise le libre échange, car seul celui-ci permet la vitalité de l'économie, l'harmonie du monde et la diversification de la vie humaine. Je voudrais profiter de cette occasion pour transmettre un message à la communauté internationale : la Chine cherchera par tous les moyens à accroître ses importations. Maintenir à l'équilibre nos dépenses et nos revenus sera notre orientation à long terme. L'an dernier, la croissance économique chinoise était due en grande partie à la demande intérieure, et l'excédent commercial s'est réduit progressivement. Au cours des dix premiers jours de mars 2010, notre balance commerciale a été défavorable.
Avant la crise financière, j'ai fait remarquer que l'économie chinoise était handicapée par des déséquilibres et de problèmes risquant de compromettre son développement durable. Bien que dans l'ensemble, la lutte de la Chine contre la crise se soit avérée efficace, un grand nombre de problèmes ont fait leur apparition.
Cette crise est en réalité un défi au mode de croissance de l'économie chinoise. Dans le Rapport sur les activités gouvernementales, j'ai employé quatre mots — sans le moindre délai — pour décrire le changement du mode de croissance économique. La notion « changement du mode de croissance » contient ceci : nous continuerons à accroître la demande intérieure et en ferons un objectif stratégique à long terme ; nous ferons de grands efforts pour réduire le fossé entre les villes et les campagnes ainsi qu'entre les régions, afin d'augmenter la consommation des ménages ; nous accélérerons le développement du secteur des services ; en ce qui concerne le secteur secondaire, nous accorderons une place importante aux industries émergentes ; enfin nous développerons de manière stable le secteur primaire, car l'agriculture, base de l'économie nationale, doit être consolidée.
La transformation du mode de développement est une tâche ardue et longue. Deux millions de chômeurs ont préoccupé le gouvernement américain. Mais, la pression de l'emploi en Chine est de 200 millions, pas de deux millions. Entre les villes et les campagnes chinoises existe une grande différence. Hier, je suis allé au Yunnan, provinces du sud-ouest de la Chine frappée par la sécheresse, où j'ai observé qu'on cultive encore la terre avec une charrue tirée par deux vaches. Tout cela pourrait avoir un impact sur le développement durable de la Chine. Lors de l'élaboration du XIIe plan quinquennal, nous devrons mettre l'accent sur l'accélération de la transformation du mode de développement.
Andrew Liveris, président du Comité national du commerce sino-américain : Comment considérez-vous le deuxième dialogue stratégique et économique Chine-Etats-Unis qui se tiendra en mai ?
Wen : Les relations sino-américaines sont capitales, elles concernent non seulement les intérêts fondamentaux des peuples des deux pays, mais ont aussi dans une certaine mesure dépassé le cadre de nos deux pays. Les relations économiques et commerciales constituent une partie importante des relations entre Chine et Etats-Unis. Il existe encore certaines contradictions et problèmes entre nous, mais nous pourrions les régler à la lumière de la consultation sur un pied d'égalité, de l'avantage réciproque et du résultat gagnant-gagnant. Le dialogue stratégique et économique Chine-Etats-Unis qui se tiendra en mai est un rendez-vous très important, et aussi l'occasion rêvée pour résoudre les contradictions et les problèmes entre la Chine et les Etats-Unis. C'est pourquoi nous le considérons hautement.
Il y a un proverbe en Chine : « Au moment où le voyageur épuisé abandonne tout espoir de retrouver la route, un village apparaît, l'attirant à l'ombre des saules et parmi les fleurs chatoyantes ». En jetant un coup d'œil dans le rétroviseur, on remarque que les contradictions et divergences entre la Chine et les Etats-Unis ont été résolues les unes après les autres, et les relations politiques et économiques sino-américaines seront plus étroites, et les peuples des deux pays conservent une pleine confiance dans le potentiel des relations bilatérales.
Vous êtes le lien amical entre la Chine et les Etats-Unis, je voudrais donc transmettre par votre intermédiaire une information aux entreprises américaines : vous êtes les bienvenues en Chine pour développer vos affaires, et la Chine augmentera l'importation de produits américains.
Haruhiko Kuroda, président de la Banque asiatique de développement : Qu'a fait la Chine pour renforcer la construction du système de sécurité sociale et augmenter la part des salaires dans le revenu national ?
Wen : Nous travaillerons avec un plus grand effort à la promotion de l'égalité sociale et à l'établissement d'un système de protection sociale perfectionné. La pauvreté absolue en Chine a dépassé la barre des 40 millions, le nombre de gens à bas revenu, les 270 millions. Un système de protection sociale perfectionné est très important pour les groupes défavorisés. A l'heure actuelle, la Chine a dessiné le cadre du système de protection sociale. L'assurance-vieillesse couvre non seulement les villes, mais on procède également depuis 2010 à des essais dans 23 % des régions rurales. Mettre en place une assurance-vieillesse pour les habitants ruraux constitue un changement historique. Le niveau de l'assurance-maladie n'est pas encore élevé, mais elle couvre déjà 1,24 milliard d'habitants. Le nouveau système médical mutualisé rural a permis à davantage de fermiers de pouvoir consulter un médecin à l'hôpital. Nous avons aussi établi un fonds spécial de protection sociale. La Chine a véritablement réalisé l'enseignement gratuit et obligatoire, et récemment commencé à appliquer une politique de gratuité des frais de scolarité pour les élèves de l'enseignement secondaire professionnel issus de familles rurales pauvres, le montant des bourses d'étude a été multiplié par dix.
L'augmentation des revenus des habitants se divise en trois niveaux : 1. Augmenter petit à petit la proportion du revenu des habitants dans le revenu national ; 2. augmenter successivement la proportion du revenu salarial des employés dans le revenu des facteurs ; 3. Régler l'écart des revenus par l'utilisation du levier fiscal au cours de la distribution secondaire afin de promouvoir l'équité sociale. Ce processus n'en est qu'à ses débuts, est encore perfectible, mais nous pouvons le réaliser.
Alan Mulally, président de la partie étrangère du Forum de haut niveau de développement de la Chine, a exprimé sa confiance dans le développement à venir de la Chine, et espère jouer un rôle dans ce développement.
Wen : J'ai souligné à plusieurs reprises la nécessité de créer plus d'occasions de rencontres avec les industriels des différents pays, je le redis aujourd'hui. A tout moment, vous êtes les bienvenus en Chine.
Plus de 60 représentants étrangers, y compris de hauts fonctionnaires des organisations internationales, des dirigeants de grandes multinationales et des chercheurs célèbres y ont participé. L'entretien a duré plus d'une heure quarante. Wen Jiabao s'est fait photographié avant l'entretien avec les représentants étrangers, et leur a serré la main à l'issue de l'entretien. |