Le taux de change du yuan respecte le principe de marchéisation
Récemment, lors d'un dialogue avec les grands industriels à Davos, en Suisse, Li Keqiang, vice-premier ministre chinois, a abordé sans tabou les questions liées au taux de change de la monnaie chinoise. Il a affirmé que le fait que la Chine stabilise le taux de change du yuan à un niveau rationnel et équilibré constitue, à lui seul, une contribution à l'économie mondiale. Son point de vue a été approuvé par les industriels présents à Davos. Il apparaît clairement que le taux de change du renminbi constitue un sujet chaud des débats dans les pays occidentaux.
Fang Ming (analyste en chef au siège des Marchés financiers de la Banque de Chine) : Depuis le 21 juillet 2005, date du début de la réforme du mécanisme de formation du taux de change du yuan, jusqu'à janvier 2010, la parité yuan-dollar a grimpé de 21,2 %, mais la parité yuan-euro de 4,6 % seulement. Selon les données publiées par la Fed, pendant cette période, l'indice du dollar effectif nominal s'est déprécié de 8,7 % et l'indice pondéré par le commerce, avec le dollar nominal comme principale monnaie, de 12,5 %. Ces chiffres nous permettent de conclure que le yuan a connu une forte appréciation et que la vraie monnaie dépréciée est le dollar US.
D'après les données fournies par la Banque de règlement international, entre février 2007, marqué par l'éclatement de la crise des subprimes, et janvier 2010, le taux de change effectif nominal et le taux de change effectif réel du yuan ont augmenté respectivement de 7,6 % et de 10,7 %, ceux de l'euro, de 9,4 % et de 5,7 %, ceux du yen, de 28,8 % et de 17,4 %, ceux du dollar australien, de 7,1 % et de 8,2 %, ceux du dollar canadien, de 8,6 % et de 5,8 %, mais ceux de la livre se sont dépréciés respectivement de 24,2 % et de 23,9 % et ceux du dollar US, de 6,8 % et de 8,1 %. Dans ce sens, le renminbi s'est apprécié, et uniquement le dollar US et la livre se sont dépréciés.
Ainsi, quel que soit l'angle, la monnaie chinoise a enregistré une assez forte appréciation tout en maintenant un cours stable. Or, malgré cet état de fait, des dirigeants et des soi-disants savants renommés ont contre l'évidence réclamé en chœur la réévaluation du yuan. Remarquons par ailleurs que l'appréciation monétaire de certains pays développés est la conséquence directe de la dépréciation excessive du dollar US. De plus, depuis la mise en application le 21 juillet 2005 de la réforme du mécanisme de formation du taux de change du yuan, ce mécanisme s'avère de plus en plus perfectionné. Le gouvernement chinois a respecté le principe de marchéisation et a réussi à assurer la réévaluation du yuan tout en en stabilisant le cours.
Albert Keidel (chercheur à l'Atlantic Council des Etats-Unis et célèbre expert en affaires économiques chinoises) : L'excédent commercial actuel de la Chine ne suffit pas à expliquer les critiques sur la sous-estimation du renminbi. En réalité, les économistes n'ont pas de méthodes efficaces pour juger si une monnaie est sous-estimée ou non. L'excédent commercial de la Chine enregistré depuis 2005 est provoqué par la consommation excessive des Américains, le taux de change du renminbi n'est pas en cause.
En bref, la méthode qui consiste à comparer l'appréciation de la parité yuan-dollar en pourcentage n'est pas significative, car en 2005, la Chine avait déjà abandonné la politique de rattachement du yuan au dollar US, pour s'arrimer à un panier de devises pondérées par le poids commercial de leur pays.
Ainsi, quand l'Euro contre le dollar US s'apprécie, le renminbi contre le dollar US fait de même. Mais, depuis juin 2008, où la parité euro-dollar a commencé à se déprécier fortement, le renminbi n'a pas suivi le cours du panier de devises. Au lieu de laisser se déprécier sa monnaie, la Chine a maintenu la stabilité du taux de conversion yuan-dollar. C'est-à-dire que depuis juin 2008, l'appréciation de la parité yuan-dollar est beaucoup plus ample que celle souhaitée par les autorités chinoises, puisqu'on a appliqué la stratégie monétaire de pondération du panier de devises.
La politique chinoise de change a stimulé la reprise de l'économie mondiale
Comme tout le monde le sait, durant la crise asiatique de 1997, pour éviter la dépréciation des monnaies des pays voisins, susceptible d'approfondir la crise financière, la Chine, puissance ayant un fort sens de la responsabilité, avait rétréci la zone de fluctuations du taux de change du renminbi, ce qui a efficacement aidé l'Asie à surmonter la crise et à se redresser.
Après l'éclatement de la crise financière internationale en 2008, la Chine a su garder la tête froide et a redressé son économie dans un très court laps de temps. Le « moteur chinois » a beaucoup contribué à la reprise de l'économie mondiale.
Fang Ming : Certains fonctionnaires et spécialistes occidentaux ont critiqué à maintes reprises la Chine à propos de la parité de pouvoir d'achat, estimant que la parité dollar-yuan devait être équivalente à la parité de pouvoir d'achat, soit à peu près 1°√3. Ceci n'a évidemment pas de rapport avec la parité de pouvoir d'achat et le taux de change. D'abord, l'unité de base de la parité de pouvoir d'achat est la parité de pouvoir d'achat du dollar, donc nous voyons que selon le FMI le taux de conversion de la parité de pouvoir d'achat est 1, tandis que les autres pays varient en fonction du pouvoir d'achat du dollar. Si la parité de pouvoir d'achat du dollar change, celle des autres monnaies changent avec, mais en fait, on ne voit pas ce changement en regardant le taux de conversion.
Ensuite, pour un pays doté d'une économie de marché mûre, le taux de change de sa monnaie contre le dollar est parfois inférieur au taux de conversion de la parité de pouvoir d'achat de sa monnaie. Mais dans les pays comme le Japon et l'Islande, dont le taux de conversion de la parité de pouvoir d'achat est beaucoup plus inférieur au taux de change entre le dollar et leur monnaie, des crises se produisent facilement.
Enfin, pour les pays au marché émergent, surtout ceux qui n'ont pas encore achevé leur réforme de marchéisation, lorsque le ratio entre le taux de change entre leur monnaie et le dollar et le taux de conversion de la parité de pouvoir d'achat est deux fois inférieur, la monnaie du pays approche la zone à risque, et lorsque le ratio est 1,5 fois inférieur, une crise se produirait très facilement, comme ce fut le cas en République de Corée, victime de la crise financière asiatique et de cette dernière crise financière internationale.
L'économie chinoise maintient un développement régulier et modérément rapide au cours de la crise financière internationale actuelle, contribution importante pour la stabilité économique du monde. Les manifestations principales de ce phénomène se résument ainsi : tout d'abord, l'investissement, les mesures stimulant la demande intérieure et l'achat approprié à l'échelle mondiale ont aidé à rétablir la confiance dans les principaux pays, et permis un développement stable de l'économie chinoise. Ensuite, le fait que le gouvernement chinois a maintenu une certaine réévaluation du taux de change du renminbi (RMB) en maintenant la stabilité de son cours a joué un rôle exemplaire, empêchant le monde de sombrer dans la surenchère de dévaluation compétitive, et permettant à l'économie mondiale de stopper sa dégringolade. Cela nous rappelle la crise financière asiatique, pendant laquelle, face à la prévision d'une dévaluation brutale du yuan, la Chine a pourtant maintenu avec fermeté la stabilité du taux de change, ce qui a été favorable à l'Asie et à sa situation économique déjà fragile. Selon Wang Zhenquan (James Wang), fondateur et directeur général du Canada Trust, continuer à maintenir la stabilité relative du taux de change du renminbi constitue la garantie d'une reprise durable de l'économie mondiale. Cela contribuerait non seulement à l'augmentation des exportations des entreprises chinoises et des capitaux étrangers, mais aussi au maintien du développement de l'économie chinoise, et jouerait un rôle de stabilisateur et de moteur pour la reprise de l'économie mondiale ; par ailleurs, cette politique permettrait de diminuer l'incertitude sur le marché financier international, de stabiliser les marchés de changes et de capitaux, tout cela afin d'accélérer la reprise de l'économie mondiale.
La réévaluation du renminbi ne peut pas régler le problème économique des pays occidentaux
Certains politiques, scientifiques ou homme de médias imputent le déficit commercial et les pertes d'emploi de l'industrie manufacturière de leur pays et le déséquilibre de l'économie mondiale au fait que la monnaie chinoise soit gravement sous-évaluée. D'autres vont même jusqu'à accuser le RMB de la réévaluation de l'euro. Mais, la réévaluation du yuan peut-elle réellement résoudre les problèmes économiques des pays occidentaux ?
Olivier Blanchard (économiste en chef au FMI) : La réévaluation du RMB ne peut pas régler les problèmes économiques des Etats-Unis, tout comme ceux des autres régions du monde.
Selon les estimations du FMI, la réévaluation de 20 % du RMB et des autres principales monnaies asiatiques ne permettrait aux Etats-Unis que d'augmenter leurs exportations pour un montant équivalent à une croissance de 1 % du PIB du pays. La réévaluation des monnaies asiatiques aiderait d'autres régions du monde, mais elle n'est pas la solution miracle du soutien de la croissance économique des Etats-Unis ou des autres pays développés. Je crois qu'il ne faut pas attaquer la Chine par le RMB. La Chine est en train de baisser le taux d'épargne en vue d'augmenter la demande intérieure, en réajustant l'orientation de la production afin de satisfaire à la croissance de la demande intérieure. C'est seulement dans cette situation que la réévaluation du yuan pourrait avoir une signification, être favorable à la redistribution des ressources et parer à la surchauffe économique. Cela serait non seulement bénéfique à la Chine, et aussi aux autres régions du monde. Albert Keidel : La réévaluation de la monnaie chinoise ne peut régler le problème du déséquilibre commercial du monde, qui, au cours des dernières décennies, était dû à la structure économique des principaux pays développés. Les Etats-Unis ont dépensé de l'argent comme si c'était de la terre, leurs dépenses de consommation étaient énormes. Le relâchement du contrôle du secteur financier rend possible l'extension des dettes basées sur un effet de levier excessif. Les pays nordiques et le Japon sont les plus économes du monde, ils n'ont pas importé de nombreux produits des pays en développement pour rehausser la demande mondiale, par contre, ils ont maintenu la balance commerciale favorable avec les Etats-Unis. Ces derniers seront encore la source de leur propre déficit commercial avant qu'ils changent leur stratégie de croissance globale, basée principalement sur les dépenses des ménages.
A présent, tous les problèmes qui se posent à l'économie mondiale sont sans rapport avec le taux de change du RMB. Il n'y a aucune raison de lui attribuer la faiblesse et le retard de la reprise économique mondiale. L'économie chinoise se développe rapidement, et produira une répercussion importante sur l'économie mondiale. Mais, à présent, le PIB de la Chine n'est pas encore très important, la totalité du PIB des pays membres de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique y compris les Etats-Unis, l'Europe et le Japon est six fois supérieure au PIB de la Chine. La Chine ne peut pas devenir à elle seule le moteur de la reprise économique mondiale. Néanmoins, la convalescence de l'économie chinoise constitue un facteur psychologique important pour la reprise mondiale. Maintenir la stabilité du taux de change du renminbi est très important pour la stabilité économique et politique chinoise, et une Chine dotée d'une croissance économique stable et durable permettra au monde d'en tirer profit. A long terme, au fur et à mesure de la maturité structurelle du coût de la main-d'œuvre chinois, le renminbi se réévaluera progressivement.
Wang Zhenquan (James Wang) : En réalité, la réévaluation du yuan aurait plus de conséquences négatives que positives pour les pays occidentaux. Dans les dernières décennies, la dévaluation du renminbi et la politique de remboursement des taxes à l'exportation leur ont permis, dans une certaine mesure, de jouir d'une faible inflation et dépense, de maintenir le niveau de vie actuel, de diminuer davantage le déficit budgétaire des gouvernements occidentaux, et de maintenir la consommation anticipée de bon nombre d'habitants. Plusieurs personnalités occidentales ont d'ailleurs jugé incorrect de demander unilatéralement une réévaluation du RMB. Selon elles, cela compromettra les intérêts des consommateurs américains et influencera la reprise de l'économie mondiale, parce que, la réévaluation de la monnaie chinoise augmentera les prix des produits « fabriqués en Chine », pouvant entraîner une baisse du pouvoir d'achat des consommateurs américains. Au regard du taux de chômage élevé actuel, cette réévaluation freinera la consommation, et sera défavorable à la reprise de l'économie américaine. |