Dimanche dernier, un groupe de 37 chercheurs chinois et américains ont publié conjointement une initiative sur les « Relations économiques sino-américaines », soulignant l’importance d’une coexistence compétitive entre les deux pays et affirmant que les relations économiques bilatérales avaient pris « une tournure très préoccupante ».

Cette proposition conjointe, publiée à Shanghai par des chercheurs incluant cinq lauréats du Prix Nobel d’économie, avance un cadre intellectuel alternatif sur la base du bénéfice mutuel, rejetant les appels à la « convergence » et au « découplage ».

Elle affirme également que le conflit et l’impasse dans les relations sino-américaines s’enracinent dans une perception, selon laquelle les seules possibilités réalisables pour progresser consistent soit en l’intégration économique profonde des deux économies, soit en un « découplage » substantiel de celles-ci.

Elle appelle à plus de liberté pour la formulation par la Chine et les Etats-Unis de divers mesures industrielles, systèmes technologiques et normes sociales.

Elle enjoint également les deux pays à adopter des mesures (tarifaires et non tarifaires) précises pour protéger les secteurs, les technologies et les mesures sociales de leur choix, tout en évitant la création de fardeaux inutiles ou asymétriques sur leurs partenaires commerciaux.

Enfin, elle suggère par ailleurs la mise en place d’un ensemble de mesures économiques et commerciales pour le cas où un pays − quel qu’il soit − chercherait à bénéficier du détriment d’un autre.

Ju Jiandong, le directeur du Centre pour la recherche économique internationale de l’Université Tsinghua, a participé à la rédaction de cette initiative. Il raconte qu’afin de trouver un cadre réalisable pour résoudre les différends commerciaux sino-américains par le biais des négociations, un groupe de travail a été formé par quatre intellectuels chinois et six américains.

« Les caractéristiques structurelles des relations sino-américaines et de l’économie mondiale signifient que la coexistence compétitive dans l’ordre mondiale est pragmatique », explique-t-il.

Selon lui, les Etats-Unis et la Chine devraient renforcer leurs politiques mutuellement bénéfiques : « Les deux pays devraient augmenter les échanges commerciaux dans les secteurs où ils ont des avantages. Par exemple, la Chine peut diminuer les droits de douane pour les exportations agricoles américaines et les Etats-Unis peuvent diminuer les droits de douane pour le textile chinois. »

En ce qui concerne les mesures concurrentielles, il estime que « les mesures qui soutiennent les efforts des entreprises à développer de meilleurs produits devraient être autorisées, tandis que celles visant à nuire à la recherche et à la production des uns et des autres devraient être interdites ».

Pour lui, « la diversité des systèmes des deux pays devrait être autorisée et protégée dans le contexte de la mondialisation ».

Les signataires de cette initiative incluaient également : Justin Lin Yifu de l’Université de Beijing ; Yu Yongding, un expert de l’Académie des sciences sociales de Chine (ASSC) ; Huang Yiping, un économiste de l’Université de Beijing ; Eric Maskin, lauréat du Prix Nobel d’économie et professeur à l’Université de Harvard ; et Robert Howse, un professeur à l’Université de New-York.

Wang Jun, le directeur adjoint du Département de l’information au Centre international de Chine pour les échanges économiques internationaux estime que cette proposition vise à promouvoir la réconciliation entre la Chine et les Etats-Unis. Elle a été réalisée par des chercheurs de haut niveau chinois et étrangers, et devrait donc avoir un certain impact sur les équipes de négociation des deux pays.

Il souligne toutefois que les mesures de l’administration Trump ne sont pas basées sur la raison, mais sur des considérations politiques.

« Donald Trump doit actuellement faire face à de nombreux facteurs, incluant des questions politiques comme les menaces d’impeachment et les incertitudes de l’élection présidentielle, ainsi qu’une pression à la baisse sur l’économie américaine. Si ces pressions continuent de s’accélérer, cela pourrait aider la Chine et les Etats-Unis à trouver un compromis dans leurs contradictions commerciales actuelles », a-t-il souligné.

Percée dans les négociations commerciales

La publication de cette déclaration survient à un moment significatif, alors que les négociations commerciales semblaient être retombées dans une impasse du fait des tergiversations américaines. Pour la première fois, la Chine semble indiquer qu’un accord commercial partiel avec les Etats-Unis pourrait être à portée de main, ayant affirmé au cours du week-end dernier que les consultations techniques sur certaines parties du texte avaient été largement terminées.

Les analystes restent prudents sur ces progrès car les Etats-Unis pourraient revenir sur leur parole, mais si la première phase de l’accord était signée, elle assurerait les intérêts fondamentaux des deux parties et ouvrirait la voie à la poursuite des négociations.

Vendredi dernier, le vice-Premier ministre chinois Liu He a discuté des problèmes commerciaux fondamentaux avec le représentant au Commerce des Etats-Unis Robert Lighthizer et le secrétaire du Trésor Steven Mnuchin au cours d’un échange téléphonique. 

Les deux parties ont accepté de gérer correctement leurs préoccupations majeures et affirmé que les consultations techniques sur une partie du texte d’accord avaient été largement achevées, annonçait samedi dernier un communiqué publié sur le site internet du ministère chinois du Commerce (MOFCOM).

C’est la première fois que la partie chinoise signale qu’un accord partiel pourrait être à portée de main.

Néanmoins, même si un accord préliminaire était trouvé, d’autres questions − comme les subventions présumées de la Chine aux entreprises d’Etat et les restrictions américaines sur le développement de la production manufacturière chinoise de pointe − devront encore être résolues au cours d’autres négociations, note Bai Ming, un chercheur de l’Académie chinoise du commerce international et de la coopération économique à Beijing.

« Les relations économiques actuelles entre la Chine et les Etats-Unis sont encore loin d’avoir retrouvé leur état normal, où les conflits commerciaux sont résolus par le biais d’un dialogue économique plutôt que des droits de douane », explique-t-il. 

Selon lui, il est nécessaire d’adopter une « attitude attentiste envers ces progrès ».