Une des économies les plus prospères du monde, la Chine envisage aujourd'hui de participer au jeu de la libéralisation financière. Au moment où nous sommes sur le point de franchir le seuil de ce club dangereux, on se pose la question suivante: sommes-nous prêts à danser avec les loups?
La Chine a lancé un programme-test de règlement en RMB à Shenzhen. Dédié aux transactions commerciales avec l'étranger, ce programme a été lancé en 2009, au plus fort de la crise. La Chine connaissait alors un ralentissement de ses exportations, l'un des moteurs de croissance du pays. L'objectif : éviter le risqué lié au change et améliorer la situation commerciale avec les pays importateurs. À ce stade, il s'agit d'un projet pilote limité dans ses volumes et les entreprises concernées et pour lequel un accord préalable est nécessaire .
Selon Henry Kissinger, ancien secrétaire d'État américain, « celui qui détient le pouvoir d'émettre de la monnaie dominera le monde ». Les dollars américains ont pris une position privilégiée après la Deuxième Guerre mondiale, en se transformant en monnaie universelle. Le RMB devrait-il suivre l'exemple du dollar? C'est une étape cruciale pour l'avenir de la Chine.
Aujourd'hui, la Chine est sans contredit une puissance commerciale. Deuxième économie mondiale et premier pays exportateur, elle reste un petit pays sur le plan de la monnaie : 70 % des règlements transfrontaliers se font en dollars. Cela est notamment dû aux contraintes légales relatives à la sortie de la devise chinoise. La Chine souhaite ainsi renforcer son droit à la parole sur le plan international. Mais le processus sera progressif
Il est possible que la Chine rende sa monnaie convertible sur les comptes de capitaux avant 2015. Laisser flotter librement le yuan aurait pour conséquence une appréciation de la devise. Pour l'instant, la Chine la maintient à un niveau stable en intervenant sur le marché des changes, ce qui a entraîné une accumulation record de réserves de change, estimées à 3 200 milliards de dollars. Certains experts soulignent également qu'une appréciation du yuan aiderait à freiner l'inflation en limitant le prix des biens importés.
Théoriquement, le lien entre le taux de change et le commerce fonctionne comme suit : si la Chine laisse le yuan s'apprécier, le prix que les consommateurs américains paieront en dollar pour les biens chinois va augmenter, ce qui conduira les consommateurs à acheter plutôt des biens américains, réduisant alors le déficit commercial. En pratique toutefois, ce mécanisme ne va pas opérer à grande échelle. Tout d'abord, les exportateurs chinois peuvent choisir de laisser le prix en dollar inchangé et absorber la force du yuan en réduisant leurs marges de profit, ou en accroissant leur productivité. Plusieurs études ont montré que les prix des biens importés aux États-Unis sont très peu sensibles aux mouvements du taux de change.
Même si le prix des biens chinois augmentait aux États-Unis, il n'existe pas d'alternatives locales. Prenons par exemple des biens comme les textiles bon marché ou les jouets. Ces produits ne sont pratiquement plus fabriqués aux États-Unis. Le consommateur n'a dès lors pas vraiment d'autre choix que de les acheter de l'étranger. L'appréciation du yuan ne réduira donc pas le déficit. Elle pourrait tout au plus en changer la composition géographique, si, par exemple, les Américains décidaient d'acheter plus de textiles mexicains et moins de textile chinois. Cette combinaison du faible impact du taux de change sur les prix et du manque d'alternatives locales signifie qu'un renforcement du yuan ne va pas réduire le déficit commercial de manière substantielle. L'expérience pratique supporte cette conclusion. De 2004 à 2008, la Chine avait laissé le yuan s'apprécier à la suite des pressions américaines. Le mouvement fut substantiel, avec un gain de 20 % par rapport au dollar. Le déficit commercial, loin de se réduire, est en fait allé s'accroissant, car l'économie américaine était en pleine croissance.
La situation conjoncturelle chinoise nécessite une politique monétaire moins expansionniste que celle des États-Unis. Un pays peut soit maintenir un taux de change fixe, soit avoir une politique monétaire en phase avec sa propre conjoncture, mais pas les deux. L'intérêt de la Chine est donc d'utiliser la politique monétaire pour répondre à sa propre conjoncture, comme le font les banques centrales de tous les grands pays. Si une politique de taux de change fixe peut se justifier pour de petits pays fortement intégrés dans l'économie mondiale, ce n'est pas le cas pour les géants économiques.
Quoi attendre des mois et des années à venir ? Aucun calendrier n'a été établi en vue d'une convertibilité totale du yuan. Cepenant, le yuan ira sans doute s'appréciant, modérément.
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