Deux ans après la révolution de
janvier 2011, la situation sécuritaire et sociale en Tunisie semble
être relativement loin d'être redressée à la lumière de la crise
politique déclenchée après l'assassinat le 6 février dernier de
l'un des principaux opposants et l'amplification de certains
aspects de violences qui ont semé d'un côté le doute chez les
Tunisiens et perturbé de l'autre côté le rendement des dirigeants à
l'approche des prochaines échéances électorales prévues fin
2013.
Franco-tunisien et analyste
principal pour la Tunisie à " International Crisis Group" (une ONG
siégée à Bruxelles et spécialisée dans la prévention et la
résolution des conflits armés) , Michaël Béchir Ayari a fait lundi
ses remarques lors d'une interview accordée au correspondant de
l'Agence de presse Xinhua.
"Depuis la chute du régime de Ben
Ali en janvier 2011, a indiqué M. Ayari, la Tunisie a connu une
augmentation des actes de violence. Un nombre élevé d'attaques et
d'agressions contre les personnes et les biens est attribué au
courant salafiste (mouvance islamiste radicale). Aussi
spectaculaires que soient ces violences, il ne faudrait pas les
dramatiser, les confondre toutes avec le terrorisme et les associer
toutes aux mêmes causes. La grande majorité de ces violences est
pour le moment de faible intensité et relève de causes sociales et
urbaines tout autant que religieuses ou politiques".
Toutefois, a-t-il poursuivi,
certaines manifestations de violences en Tunisie "montrent de
manière inquiétante que des armes à feu circulent clandestinement
sur le territoire et atterrissent parfois dans les mains
d'islamistes radicaux. Plusieurs auteurs des actes de violence,
anciens combattants en Afghanistan, au Yémen, en Somalie ou en Irak
sous l'ère Ben Ali, sont aguerris".
Et d'ajouter que d'après des
militants sécularistes, "près de 2 000 Tunisiens, dont nombre de
salafistes-djihadistes (une branche armée), seraient actuellement
en train de faire la guerre en Syrie du côté de l'opposition
fondamentaliste et pourraient, de retour au pays, grossir les rangs
de leurs camarades demeurés sur le sol tunisien".
D'après l'analyste de
l'International Crisis Group, "le laxisme relatif d'Ennahdha (parti
islamiste majoritaire au pouvoir en Tunisie) à l'égard de ces
violences est lié à des décisions stratégiques et tactiques, il est
aussi renforcé par un certain désordre au sein des institutions
sécuritaires et judiciaires, ainsi que par l'incertitude générée
par la transition politique".
Evoquant les derniers événements
sur la scène politique tunisienne juste après l'assassinat le 6
février dernier de l'une des figures de proue de l'opposition avec
la démission de l'ex- Premier ministre et la désignation d'un
nouveau chef du gouvernement qui n'est autre que l'ex-ministre de
l'Intérieur, M. Ayari a estimé qu'"une réponse d'ordre sécuritaire
soit nécessaire (..) et cela d'autant plus qu'une forme de
djihadisme (engagement dans une guerre sainte) parvient de plus en
plus à transcender les frontières".
Mais, a-t-il rétorqué, il ne
faudrait pas jeter salafisme tunisien et djihadisme type Al-Qaïda
dans un même sac et les traiter pareillement, au risque d'inciter à
davantage de radicalisation et de violence". Il convient au
contraire de distinguer plusieurs phénomènes et les traiter de
façon distincte: "actions de jeunes chômeurs ou marginalisés qui
trouvent dans le salafisme djihadiste un exutoire facile;
tentatives d'imposition d' un certain ordre religieux ou moral qui
effraient de nombreux citoyens; et enfin, djihadisme terroriste tel
qu'habituellement conçu".
Ce constat sécuritaire incertain a
certes semé un certain doute quant à la faisabilité des élections
présidentielles et législatives prévues pour fin 2013. "La tenue
des élections est tout à fait possible à moyen terme, mais si la
voie du dialogue échoue, l'approche des prochaines échéances
électorales pourrait donner lieu à de nouvelles violences", a
révélé M. Michaël Béchir Ayari.
Pour s'expliquer, M. Ayari a
indiqué que les résultats des prochaines élections deviendraient
"quasiment une question de survie pour les islamistes comme pour
les non-islamistes". Pour prévenir, l'analyste a estimé que les
forces politiques doivent chercher le moyen de se convaincre
mutuellement qu'à l'issue du scrutin, et quels que soient les
scénarios à court et à moyen terme, les uns comme les autres ne
subiront pas un contrecoup grave et ne seront soumis ni à
l'arbitraire politique ou religieux ni à la répression.
Le constat actuel en Tunisie, comme
l'a explicité M. Ayari, fait ressortir les ingrédients d'une crise
politique et des violences sociales, déclenchées par l'assassinat
de l'opposant Chokri Belaïd, d'une polarisation extrême entre
islamistes et anti- islamistes, de sérieuses divisions au sein
d'Ennahdha ainsi que d' une certaine radicalisation du discours et
de la pratique djihadiste.
"Les autorités pourraient être
tentées, a-t-il fait remarquer, par une gestion exclusivement
sécuritaire. En réaction, la possibilité d'actes terroristes
beaucoup plus violents que les violences de faible intensité n'est
pas – plus – à exclure". L' entrée dans cette dynamique pourrait
également enrayer le processus d'institutionnalisation des
islamistes radicaux, lequel est potentiellement porteur de
modération. Et elle pourrait faire évoluer Ennahdha vers une
approche plus contraignante du point de vue religieux, accentuant
le clivage islamistes/laïques à l' approche des échéances
électorales.
La situation sécuritaire en Tunisie
ne peut pas être isolée de son environnement régional où la tension
bat son plein avec des perturbations en Libye et un conflit armé au
Mali. "La circulation d'armes à feu et explosifs sur le territoire
tunisien et la porosité des frontières avec les voisins libyen et
algérien – phénomène aggravé d'abord par les évènements en Libye et
désormais par ceux qui agitent le Mali – exigent une réponse
régionale et, en particulier, une coopération sécuritaire étroite
entre Alger, Tripoli et Tunis", toujours selon M. Michaël Béchir
Ayari.
Il s'est enfin montré persuadé que
"les saisies de ce type de matériel se sont en effet multipliées
depuis le début de l'année 2013 et la situation risque d'empirer.
Le 13 janvier, le chef d' Etat tunisien déclarait ainsi que des
salafistes-djihadistes tunisiens seraient en relation avec des
forces terroristes" impliquées dans le conflit malien, la Tunisie
était, d'après lui, sur le point de devenir un corridor entre
l'armement libyen et la région du Mali".
De même, a conclu M. Ayari, "une
trop grande perméabilité des frontières pourrait favoriser le
passage de djihadistes tunisiens en Algérie et au Mali. Réalité
déjà observable: onze des 32 ravisseurs du site gazier d'In Amenas
en Algérie à la mi-janvier seraient de nationalité tunisienne".
La Tunisie passe actuellement par
une étape charnière dans toute son histoire se démarquant
essentiellement par la multitude des défis à relever et à leur tête
l'apaisement d'une tension sociale alimentée par la hausse des prix
et l'insatisfaction sur le rendement des dirigeants en plus d'une
situation économique déséquilibrée et peu rassurante pour les
partenaires étrangers de la Tunisie pour en finir avec une crise
politique au sommet du pouvoir aggravée par un constat sécuritaire
explosif. Les résolutions-clés comme perçues par les experts et
analystes consiste en la finalisation de la nouvelle Constitution
et passer aussi rapidement que possible aux élections pour plier la
page de la transition pour entamer celle de la construction. F
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